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étaient passionnées pour lui. Son plaidoyer est resté un chef-d’œuvre d’éloquence : il excita l’admiration avouée de plusieurs de ses ennemis. « Il émut tant nos passions, dit le poète Denham, que pour une pareille défense plusieurs auraient voulu avoir sur eux le crime. La pitié privée luttait avec la haine publique, la raison avec la rage, et l’éloquence avec le destin. »

Pym, qui dirigeait l’accusation, désespéra d’obtenir contre Strafford un jugement légal. Il eut recours à la proscription pure et simple. Il fit voter contre lui un bill d’attainder, ce qu’était chez nous, sous la convention, la mise hors la loi. Il semblait que cette mesure eût pu sauver Strafford, car, pour faire tomber sa tête, le bill d’attainder avait besoin de la sanction royale. Avant son arrestation, Charles lui avait dit : « Tant qu’il y aura un roi en Angleterre, pas un cheveu de votre tête ne sera touché par le parlement. » Plus tard, il lui avait écrit dans sa prison : « Je ne pourrais satisfaire mon honneur ni ma conscience, si je ne vous assurais sur la parole d’un roi que vous ne souffrirez ni dans votre vie, ni dans votre honneur, ni dans votre fortune. » Mais son implacable ennemi, le démagogue à la bouche bavarde et lippue, Pym, avait dit autrefois à Strafford au moment où il quitta l’opposition : « Vous allez nous lâcher, mais moi je ne vous lâcherai pas tant que votre tête sera sur vos épaules. » De la parole du roi ou de celle du tribun, laquelle maintenant allait l’emporter ?

Avant que le bill d’attainder eût été voté par la chambre des lords, Charles avait déjà trahi sa faiblesse par une imprudente et insolite démarche. Il était venu en personne à la chambre des lords, y avait mandé les communes, et leur avait tenu le discours suivant : « My lords et gentlemen, je n’avais pas l’intention de vous parler de cette affaire cause ma présence ici aujourd’hui, qui est l’accusation du comte de Strafford, parce que je ne veux rien faire qui puisse traverser votre marche ; mais, comme il peut arriver que par nécessité j’aie une part dans ce jugement, je regarde comme indispensable de vous déclarer à cet égard ma conviction. Je suis sûr que vous savez tous que j’ai assisté au débat de cette grande affaire d’un bout à l’autre. Ce que j’ai à vous déclarer est en deux mots ceci : que, dans ma conscience, je ne puis le condamner sur le chef de haute trahison. Il ne me convient pas de discuter l’affaire : je suis sûr que vous ne l’attendez pas de moi. Une doctrine positive sied mieux à la bouche d’un prince… Je désire être bien compris : je vous dis que, dans ma conscience, je ne peux le condamner sur le chef de haute trahison ; cependant je ne puis dire que je l’acquitte de tout délit ; c’est pourquoi j’espère que vous pourrez trouver un moyen de satisfaire la justice et vos propres craintes sans violenter ma conscience. » Pour parler net, Charles venait supplier son parlement de faire ce qu’il pouvait faire de sa royale autorité, sauver