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que j’avais mise en Dieu, et à dire avec Job : « Pourquoi ne suis-je point mort ? » Les graces que nous avions reçues ont été bientôt obscurcies d’hypocrisies abominables, même dans les hommes qui avaient contribué à terminer cette guerre. Les factieux ont accompli leur dessein d’élever leur propre fortune sur la ruine publique. » Sir Harry Vane parle à peu près sur le même ton et accuse Cromwell d’être « l’Achan qui s’est emparé de la chose maudite ; » mais c’est Cromwell qui nous a laissé le meilleur signalement de ces hommes, lorsqu’il chassa le parlement croupion, et que, voyant, déguerpir les meneurs, il les marquait au passage d’une flétrissure immortelle : Henri Marten licencieux parmi les femmes, Peter Wentworth adultère, l’alderman Allen concussionnaire, Challoner ivrogne, Whitelocke prévaricateur, et sir Harry Vane !… Arrivé à lui, Cromwell, comme s’il avait épuisé le vocabulaire du vice, s’écria : « Que le Seigneur me délivre de sir Harry Vane ! » Ainsi les démagogues anglais devaient porter la peine de leurs hypocrisies et de leurs crimes. Ils avaient déchaîné, avec l’esprit de secte, la convoitise universelle ; ils avaient par trahison livré le pouvoir à la populace ; d’autres, plus méchans ou plus fous qu’eux, lui dirent, comme le Jak Cade de Shakspeare : « Nous mettrons le royaume en commun. C’est pour la liberté. Nous ne laisserons pas subsister un seul lord, un seul gentilhomme ; n’épargnez que ceux qui portent des souliers ferrés. » Le vertueux Hampden était mort à temps pour ne point perdre ses illusions libérales ; Pym était mort à temps pour échapper aux vengeances populaires ; il avait pu entendre les tricoteuses de Londres crier à la porte de la chambre des communes : « Donnez-nous le traître Pym, donnez-nous ce chien de Pym, que nous le mettions en pièces ! » Il fallait que la force vînt mettre le holà dans cette anarchie, « la force, dit le grand historien Hallam, arbitre suprême des disputes humaines. » C’était l’heure de Cromwell.


III

Le prince Rupert arrivé auprès du roi, les choses prirent rapidement une tournure favorable aux cavaliers. Rupert n’eut point d’abord le commandement nominal de l’armée royale, qui fut donné au vieux comte de Lindsey ; il avait pourtant la direction réelle des affaires militaires, ne recevait d’ordres que du roi, et c’était à lui que tous les cavaliers demandaient l’élan et la victoire. Sir Philip Warwick, le Froissard des cavaliers, explique le secret de cette influence par un mot français (la chose étant surtout française) : Rupert étoit toujours soldat. » Il avait parmi les chefs de l’armée royale un autre trait particulier. Etranger à l’Angleterre, n’y tenant que par sa parente avec Charles Ier, aucun préjugé, aucune considération, aucun intérêt personnel