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vingt mille hommes. Dans ces occasions, au commencement, les troupes royales obtinrent presque toujours l’avantage ; mais, même dans celles où elles eurent le dessous, les choses se passaient presque toujours de la façon que voici : l’aile de l’armée que commandait Rupert, son chef en tête, enfonçait l’aile opposée de l’ennemi ; l’aile des têtes-rondes où se trouvait un grand chef parlementaire, Hampden. Fairfax ou Cromwell, culbutait les cavaliers qu’elle avait en face. La plupart du temps, on pouvait résumer ces affaires comme le fit un jour un des soldats de cette guerre : Victor uterque fuit, victus uterque fuit. Cependant, à la fin, les cavaliers se trahissant eux-mêmes par leur impétuosité, les têtes-rondes se fortifiant par la discipline, l’avantage resta à ces derniers. Les charges des cavaliers de Rupert se terminaient en fantasias arabes ; il était impossible de les rallier pour les ramener sur le champ de bataille Ils excellaient dans les surprises, dans les coups de main, dans les reconnaissances. En son beau livre sur Cromwell, Carlyle peint, avec ses pittoresques hachures, cette fougue des cavaliers secondant si bien la fougue de Rupert : « Toute l’Angleterre est en feu, mais un feu sombre, et tout le pays se tord en un sombre conflit, souffrant mainte détresse. Et des quartiers de sa majesté, par momens darde, tantôt ici, tantôt là, à travers la noire fumée, un vif, ardent prince Rupert, comme un éclair de flamme soudaine. » Cette impétuosité, cet imprévu d’éclair et de tonnerre, inspiraient une terreur profonde et mystérieuse aux têtes-rondes, principalement à ceux des villes et aussi aux bourgeois de Londres, que Rupert alla un jour effrayer jusqu’à Windsor. La légende populaire rendait surtout formidable le manteau rouge que Rupert endossait en certaines occasions, et, son chien, auquel les têtes-rondes ne comprenaient pas que les cavaliers pussent porter des santés, à moins qu’il ne fût le diable. Ce furent les guérillas royalistes qui firent le plus de mal aux parlementaires. Ces expéditions avaient un air romanesque qui ravivait sans cesse l’ardeur des cavaliers ; c’était aussi un moyen d’alimenter leurs ressources, d’exercer des représailles et de tenir de loin en respect des populations hostiles. Ordinairement, au coucher du soleil, les trompettes sonnaient au camp, et des poignées de cavaliers, des troupes de sallades, allaient battre un pays rebelle. Souvent, au milieu de la nuit, les pavés de quelque petite ville isolée résonnaient du piétinement d’une cavalcade. Les bourgeois, éveillés en sursaut, passaient sous la guillotine des fenêtres leurs museaux barbouillés de sommeil et de peur. Le maire, les aldermen, arrachés à leur lit, les hauts-de-chausses mal attachés sur la bedaine, venaient comparaître devant le chef de la bande qui les sommait de fournir immédiatement de l’argent, des munitions ou des vivres, et quelquefois les emmenait au quartier général, montés en croupe derrière ses soldats. Avant la petite pointe du jour, les cavaliers avaient disparue, ou l’on voyait à peine à l’horizon