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située dans cette partie des Alpes maritimes qu’on appelle la Rivière de Ponent, était disputée depuis des siècles, malgré son peu d’importance, par la république de Gènes et par le saint-empire romain, bien décidé toutefois à rester italienne dans le présent comme elle avait été guelfe dans le passé. Appuyés sur de vieux diplômes, les empereurs d’Allemagne l’avaient toujours réclamée ; mais San-Remo produisait sans relâche d’autres titres et refusait de se reconnaître fief impérial. Elle avait eu constamment recours aux rois de France, qui, pendant six cents ans, lui avaient accordé leur protection. Enfin, par le traité d’Aix-la-Chapelle, Louis XV s’était rendu garant de son indépendance. Joseph II résolut de l’attaquer ; il s’en fit un point d’honneur Il y mit toute l’impatience, tout l’ardeur d’un jeune souverain dans les premières jouissances du pouvoir suprême. Sans avoir été ni consulté ni averti, le gouvernement français apprit qu’un arrêt du conseil aulique avait formellement déclaré San-Remo fief de l’empire. À cette violation de ses droits, la république de Gènes se tourna vers la France, dont elle réclama la garantie. Le duc de Choiseul, au lieu d’éluder l’affaire, approuva les Génois, les soutint, traita d’abus les prétentions du conseil aulique, et signifia au prince de Kaunitz que, si l’empereur n’y renonçait pas, les droits de Gênes sur San-Remo seraient soutenus par les armes.

Ce parti était vigoureux. À en juger superficiellement, l’objet ne le méritait guère : il ne s’agissait que d’une ville de pêcheurs cachée dans des bois d’orangers et de palmiers, au bord de la mer ; mais M. de Choiseul avait raison : d’une tentative de suzeraineté sur San-Remo à des prétentions sur Gènes, il n’y avait pas loin. Permettre que l’Autriche dominât Gènes en possédant Milan, c’était lui donner l’Italie. Il lui fallait un grand port dans la péninsule ; ne pouvant pas encore songer à Venise, elle aurait été suffisamment dédommagée par la possession de la république génoise. Le cas avait donc de la gravité. D’ailleurs, il s’agissait de prouver à l’Europe que la France n’était point la complaisante de l’Autriche. M. de Choiseul fut assez fier pour le sentir, assez courageux pour ne pas dissimuler. Il s’adressa directement à M. de Kaunitz lui-même : il se plaignit hautement du jeune empereur, de son peu de considération pour un aïeul roi de France[1], et, dans cet écrit tout entier de sa main, il traça avec fermeté le droit et le devoir d’une grande puissance, son droit au respect des forts, son devoir de protéger les faibles.

Dans le conseil impérial, la consternation fut égale à la surprise ; on ne s’attendait pas à tant d’audace : c’était une révolte, une révolution ;

  1. Louis XV était le grand-père maternel d’Elisabeth de Bourbon-Parme, épouse de Joseph II.