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duc de Choiseul. Pour tempérer son ardeur, et surtout pour lui ôter tout espoir de se voir soutenu par Marie-Thérèse, Kaunitz avait toujours nié la possibilité de mettre les Turcs en mouvement ; les envoyés autrichiens, surtout le prince Lobkowitz, ministre à Pétersbourg, blâmaient hautement les manœuvres du ministère français. Dès les premiers soulèvemens des confédérés, la cour de Vienne s’y était montrée contraire ; les délégués des patriotes avaient essayé en vain de pénétrer jusqu’au prince de Kaunitz. La guerre commencée, Kaunitz vit bien qu’en cas de succès Choiseul ne lui pardonnerait pas cette froideur, et Choiseul, de son côté, sentit que Kaunitz lui pardonnerait encore moins ses propres torts. Dans cette disposition réciproque, les deux ministres, à l’insu l’un de l’autre, se rapprochèrent du roi de Prusse. C’est là que Frédéric les attendait depuis long-temps.


IV

Choiseul avait forcé Catherine à la victoire. Dès l’ouverture de la campagne, la fortune des armes s’était déclarée pour elle. Le roi de Prusse essaya de l’arrêter dans sa marche par une négociation captieuse. Tandis que les généraux russes entraient en vainqueurs dans la Moldavie et dans la Valachie, Frédéric essaya de mettre un terme aux succès de l’impératrice, et entama avec elle une négociation dont lui-même rende compte en ces termes :

« Il y avait, dit-il, deux partis à prendre : ou d’arrêter la Russie dans ses immenses conquêtes, ou, ce qui était le plus sage, d’essayer par adresse d’en tirer parti. Le roi n’avait rien négligé à cet égard : il avait envoyé à Pétersbourg un projet politique, qu’il attribuait à un comte de Lynar, connu dans la dernière guerre pour avoir négocié la convention de Klosterzeven entre les Hanovriens, commandés par le duc de Cumberland et campés à Stade, et les Français sous les ordres du duc de Richelieu. Ce projet contenait une esquisse d’un partage à faire de quelques provinces de la Pologne entre la Russie, l’Autriche et la Prusse. L’objet d’utilité de ce partage consistait en ce que la Russie, par ce partage, pourrait continuer tranquillement sa guerre avec les Turcs, sans appréhender d’être arrêtée dans ses entreprises par une diversion que l’impératrice-reine était à portée de lui faire en envoyant un corps de ses troupes vers le Dniester, ce qui aurait coupé les armées russes de la Pologne, d’où elles tiraient la plus grande partie de leurs subsistances ; mais les grands succès des Russes, tant dans la Moldavie que dans la Valachie, et les victoires que leurs flottes remportèrent dans l’Archipel avaient tellement enivré la cour de ses prospérités, qu’elle ne fit aucune attention au soi-disant mémoire du comte de Lynar[1]. »

  1. Oeuvres du grand Frédéric, tome VI, page 27. (Nouvelle édition.)