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s’en vengea en dévastant le territoire de cette ville libre et en s’efforçant de transporter le commerce du Nord à Kœnigsberg. Il ne se contentait pas de pressurer les Polonais : il faisait encore un poème contre eux et les persiflait en vers détestables.

Une dernière tentative de résistance fut faite par un des plus grands seigneurs de la Pologne, le comte Oginski. Elle échoua. Au moment où Oginski fuyait devant les Russes, le vieux Braniçki expirait dans le palais de Bialistock, emportant dans la tombe la vieille Pologne tout entière ; avec ses lois, ses coutumes, son anarchie et sa grandeur. Le château de Cracovie, dernier boulevard de la confédération, tenait encore, défendu par le brave Choisy à la tête de quelques officiers français. Après une vigoureuse résistance, ils se rendirent aux généraux russes, qui les traitèrent en prisonniers de guerre. Le duc d’Aiguillon n’osa les réclamer. Voltaire et surtout d’Alembert furent plus hardis. Ils s’adressèrent directement à l’impératrice[1] ; parlant au nom de l’humanité et de la philosophie, ils lui redemandèrent les prisonniers Leur requête ne fut pas écoutée ; mais dans cette circonstance la France littéraire, tant accusée alors de manquer de patriotisme, donna à la France officielle une leçon d’esprit national.

Cependant l’Autriche commençait à jeter le masque. Jusqu’alors, elle s’était soigneusement séparée de ses secrets alliés ; elle se présentait aux Polonais comme une libératrice, comme une amie, et, soit imbécillité, soit complaisance, le ministère d’Aiguillon l’avait fraternellement secondée dans ce manége. Tous nos agens en Pologne avaient reçu l’ordre de célébrer sur tous les tons l’innocence du cabinet de Vienne. M. de Kaunitz s’en montra médiocrement reconnaissant. Il ne payait pas le compérage par la confiance. Plus la grande affaire approchait de son dénoûment, plus le chancelier devenait énigmatique et impénétrable. À l’exemple des oracles vainement consultés, il s’enveloppait d’ombres et de mystères ; son langage variait, du jour au lendemain quelquefois il semblait rejeter l’idée d’un démembrement comme impossible ; dans d’autres momens, il le faisait pressentir comme inévitable. Le plus souvent, il gardait un profond silence, et ne répondait à M. de Rohan que par monosyllabes, quoiqu’il le traitât avec une distinction recherchée, moins de ministre à ambassadeur que de prince à prince. Il finit par lui montrer une extrême réserve. Rohan, éclairé par le dépit, conclut de ces réticences qu’il se tramait à son insu quelque chose de grave. Malgré les dénégations intéressées de M. Durand, placé auprès de lui, en qualité de surveillant, sous le titre de ministre plénipotentiaire, il soupçonna le complot, et finit par le deviner tout-à-fait, lorsqu’un jour M. de Kaunitz, venant à lui d’un air riant

  1. Correspondance de Voltaire avec Catherine II et avec d’Alembert.