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douter que le concert entre les trois cours ne soit bientôt consommé. On ne peut que suspendre son jugement sur les conditions[1]. »

Kaunitz joua un rôle double jusqu’à la fin ; quelques jours même avant la déclaration du traité de partage, il le nia avec audace, et ce fut seulement au mois d’avril que, sans s’expliquer positivement, il laissa transpirer son secret. Livré aux plus violens soupçons, mais averti par ses conjectures, sans être arrivé jusqu’à la certitude, le prince de Rohan se proposa d’arracher à Kaunitz des aveux positifs. L’entreprise était difficile ; il essaya cependant, et demanda au ministre autrichien s’il était vrai que le partage de la Pologne fût enfin décidé. À cet exorde inattendu, M. de Kaunitz éprouva un embarras extrême ; tous deux gardèrent le silence ; puis, quelques minutes ayant été données à une hésitation réelle et à une méditation étudiée, le chancelier reprit son visage imperturbable, sa mine hautaine, et dit au jeune prélat qu’il ne pouvait répondre à sa question, qu’il y avait entre alliés des éclaircissemens qui ne devaient point se demander, parce qu’ils tenaient à des secrets d’état dont on ne devait compte à personne. Enfin, il ajouta d’un air ironique :

« Lorsque la France s’est emparée de la Corse et du Comtat, lorsque le roi de Naples est entré dans Bénévent, la maison d’Autriche n’a marqué ni curiosité ni inquiétude.

« M. DE ROHAN. – Veuillez considérer, prince, la disparité des circonstances. La maison d’Autriche n’avait aucun intérêt direct dans les actes que vous me faites l’honneur de me rappeler. Que lui importaient l’occupation d’un rocher stérile, d’insignifiantes représailles contre le pape ? Mais ici il s’agit de la Pologne !… Par les secours pécuniaires que le roi a donnés aux Polonais, avec l’approbation de la cour impériale, ou du moins sans aucune objection de sa part, il a peut-être quelque droit de s’informer des décisions dont la Pologne est actuellement l’objet ; mais un motif plus noble le guide : ces secours n’ont été que l’expression d’un intérêt généreux. Des Français ont secouru la Pologne, quel sera leur sort ? Quel sera celui des confédérés ?

« M. DE KAUNITZ. – Il m’est impossible de le prévoir. Cela dépend beaucoup d’événemens qu’on ne saurait encore calculer. Mon prince, votre mémoire vous trompe ; je n’ai jamais approuvé la confédération ; je n’en ai jamais fait le moindre cas ; jamais elle n’a eu ni consistance, ni ressources ; je n’ai jamais espéré qu’elle pût produire le moindre effet : c’est sur ce ton que j’en ai toujours parlé à M. Durand. Pour ce qui regarde la Pologne, ainsi que le roi de Prusse et l’impératrice de Russie, nous sommes décidés à ne point souffrir que nos voisins s’y procurent aucun agrandissement qui puisse altérer l’équilibre ou diminuer l’égalité de la balance politique du Nord. C’est en conséquence de principe, dont nous ne nous départirons jamais, que nous sommes résolus à faire entrer incessamment une armée en Pologne, assez considérable pour

  1. 27 mars suivant.