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et ils le deviendront de plus en plus. Cette curiosité intellectuelle explique le succès des livres de M. Longfellow en Amérique et le nombre prodigieux d’éditions qu’ils ont atteint. Jetez les yeux sur la première page de ces livres : Hyperion en était à sa sixième édition en 1848, les Ballades ont eu dix éditions, Evangéline six, les Voix de la Nuit douze ; le Beffroi de Bruges en avait trois en 1846. Comparez ce fait avec ce qui se passe chez nous. Les poètes d’un talent égal et analogue à celui de M. Longfellow ne manquent pas en France, nous pourrions en citer plus d’un. Cependant leurs poésies meurent au printemps, aussitôt qu’elles sont écloses ; les meilleures d’entre elles obtiennent au plus l’honneur d’une seconde édition très modeste et d’un très petit tirage. Ce succès matériel des livres en Amérique, ce succès qui s’exprime par des éditions sans fin, les cours librement ouverts, où l’on professe sur toute sorte de matières, l’obtiennent également. Un Français, un Européen quelconque en quête de moyens d’existence ouvre un cours où pour tout enseignement il se borne à lire, avec quelques maigres commentaires, les tragédies de Racine ou une œuvre poétique de tel ou tel auteur européen, et il trouve des auditeurs : les Américains y accourent en foule. Dans l’ordre de la pensée, ils imitent comme des enfans dans l’ordre des faits, ils agissent comme des hommes.

On nous demandera sans doute : — Mais les causes de cette stérilité intellectuelle que vous avez signalées suffisent-elles à expliquer la pénurie littéraire des États-Unis ? Peut-on bien les invoquer ? L’esprit révolutionnaire ne domine pas chez eux : c’est l’esprit religieux qui domine : tous n’y sont-ils pas soumis à la loi ? Enfin est-ce qu’il y a chez eux une autre morale que la morale du devoir ? — Le protestantisme, répondrons-nous, est, en effet, dominant aux États-Unis ; mais, chose étrange, cette doctrine, qui est si fortement marquée dans les habitudes des Américains a eu beaucoup moins d’influence sur leur intelligence. Il semble que le protestantisme soit relégué dans l’intérieur du temple et du foyer domestique, et qu’il s’arrête au seuil du cabinet de travail du penseur et du poète. En Angleterre, au contraire, le protestantisme a laissé des monumens littéraires éclatans et durables ; il a imprimé son sceau sur les hommes qui ont le plus cherché à secouer son influence. Il a produit toute une forte race d’écrivains ; il a inspiré Milton, il a créé John Bunyan, Daniel de Foë, Samuel Johnson, et même David Hume et Swift ; il été représenté par Cromwell, il a été pratiqué par Newton. Aux États-Unis, il n’y a rien de pareil, et il est très probable que cette influence ne e reproduira pas. On ne retrouve plus guère l’influence protestante dans les écrivains américains. Il faut même avoir un coup d’œil suffisamment subtil pour reconnaître les quelques traces que le protestantisme a laissées chez eux. Il a laissé