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tant de haine contre le prêtre implique une bien vive sympathie pour le culte, si ce dénigrement perpétuel et systématique du magistrat s’accorde avec une tendresse fort sincère pour l’institution, si, tout mari étant nécessairement un être féroce ou stupide, le mariage doit se tenir pour très satisfait ; mais l’art, qui prédominait sur le paradoxe, couvrait, effaçait tout. Le talent merveilleux de l’écrivain avait su s’arrêter en général à ce point où le sophisme n’est plus seulement une faute contre le droit sens, mais une tache, une corruption qui se mêle à l’essence même du beau pour la ternir et l’altérer. Lélia seule faisait exception. Là, une philosophie effrénée s’alliait à un art souvent accompli dans les détails, mais confus dans l’ensemble, et désordonné dans ses développemens La critique fit preuve selon nous, d’une imprévoyance fâcheuse en se montrant trop accommodante pour un si déplorable symptôme. C’est en effet à Lélia, non moins qu’à la funeste influence de l’auteur du livre de l’Humanité, que se rattache pour l’éloquent écrivain ce que nous nommions sa seconde période, cette période où ce qui n’était jusque-là chez lui que l’accessoire devient le principal, où la prétention philosophique usurpe les droits de l’art, où l’idée, comme on dit, non pas l’idée simple, vraie, morale, éternelle, dont les titres sont imprescriptibles, mais l’idée paradoxale, dissolvante, systématique, illuminée, passagère, manquant à la fois de calme et de mesure, envahit tout et unit par corrompre et par égarer l’imagination de l’artiste au lieu de la nourrir et de la maîtriser. C’est le temps des romans socialistes où tout personnage est un type déifié des idées nouvelles ou un type sacrifié des vieux erremens, où des ouvriers communistes, déblatérant contre les abus, un bâton à la main, le long des grandes routes, sont invariablement amoureux de marquises qui ont lu Jean-Jacques à la dérobée pour se mettre à la hauteur de leurs poursuivans ; où les riches ont nécessairement tous les vices et les prolétaires toutes les vertus ; où, à moins d’être né ébéniste, serrurier, menuisier, ou de se faire volontairement garçon de moulin comme Henri Lémor, il faut renoncer à toute chance d’avoir un peu de cœur et quelque talent en partage ; c’est le temps des métempsycoses, des hallucinations mystiques, des visions transcendantales et translumineuses, le temps, en un mot, du Meunier d’Angibault, du Compagnon du tour de France, de Consuelo et de la Comtesse de. Rudolstadt. Voilà le roman tel que le pratiquait Mme Sand avant février : plein encore d’échappées éblouissantes, presque toujours fidèle à cette grande tradition de style maintenue par l’écrivain avec une constance si digne d’éloges au milieu de ses transformations, mais discoureur sans fin et sans raison, perdu dans ses rêves, continuant plus d’une fois à l’ennui et portant au cœur un germe mortel dans l’idée fausse, dans le sentiment exagéré, dans le ton déclamatoire. Pourtant, admirez comme un véritable artiste revient toujours, ne fût-ce que par exception et par boutade, à l’art pur, à la verité simple, à la vérité vraie ! Au lendemain d’un interminable roman humanitaire, George Sand renouait la chaîne interrompue d’André, la tradition de ces nouvelles d’autrefois si exemptes de toutes velléité d’apostolat, et laissait échapper un de ses chefs-d’œuvre les moins contestés : la Mare au Diable. C’est à cette veine heureuse qu’appartient la Petite Fadette.

Sauf la préface qui respire une certaine lassitude politique, sauf une étrange dédicace dont il faut se contenter de sourire, nulle trace de politique dans la