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d’un côté, on tombe de l’autre, et c’est ainsi que l’équilibre s’établit aux yeux de l’histoire, mais avec grand dommage pour les contemporains, qui ne se guérissent d’une contusion à gauche qu’en se faisant une contusion à droite. Ces inconvéniens du scrutin de liste, grands dans les élections municipales, ne sont pas moins grands, tout le monde le comprend, dans les élections politiques. Le gouvernement ne peut avoir aucun esprit de suite, ni surtout aucun esprit de modération. Aujourd’hui rouge, parce que la liste rouge l’a emporté ; demain blanc, parce que la liste blanche a prévalu. Passe encore si de cette façon vous aviez la véritable opinion du pays ; malheureusement vous n’avez que l’opinion d’une majorité formée à l’aide d’arrangemens arbitraires. Pourquoi, en effet, groupez-vous les opinions du département et non pas celles d’un ressort judiciaire ou d’une division militaire ? Pourquoi même ne groupez-vous pas les opinions de tout le territoire ? Il y aurait deux listes de 750 noms : les électeurs prendraient l’une ou l’autre. Ce procédé électoral correspondrait mieux au principe du scrutin de liste. Le principe du scrutin de liste, en effet, n’est pas d’avoir l’opinion de chaque électeur, mais l’opinion de tous. Les lois électorales qui s’inquiètent d’avoir la véritable opinion de chaque électeur et qui veulent ménager la liberté des consciences individuelles vont chercher l’électeur chez lui, dans son arrondissement, dans sa commune, dans sa section ; elle ne lui donnent qu’un candidat à choisir, de sorte que l’électeur sait ce qu’il fait et ne nomme que celui qu’il connaît. Les gouvernemens au contraire qui n’ont qu’une chambre unique, qui craignent en tout l’équilibre et le tempérament, qui aiment à aller par sauts et par bonds au lieu de marcher régulièrement, ces gouvernemens-là ne vont pas chercher dans chaque localité les opinions diverses pour les tempérer l’une par l’autre ; ils forcent les électeurs à faire un choix absolu et aveugle. Ils excluent, de dessein prémédité, les opinions et les partis modérés, et, comme le remarque avec raison la circulaire ministérielle, ces scrutins cassans et tranchans sont mille fois plus dangereux avec le suffrage universel qu’avec le suffrage censitaire. Avec le suffrage censitaire, il y avait entre l’électeur et l’élu une relation directe ; l’électeur connaissait ou pouvait connaître personnellement les candidats ; le suffrage universel rend cette connaissance impossible. Pour employer ici une expression de commerce, on vote sur échantillon.

La question du scrutin de liste contient inévitablement la question du suffrage universel. Cette question, au surplus, du suffrage universel commence à être discutée librement. La république peut-elle continuer à vivre avec le suffrage universel ? Tel est le doute qui s’élève dans les esprits. Le suffrage universel peut être bon pour fonder un gouvernement, surtout dans un pays qui ne croit qu’à la légitimité du nombre ou de la force, et qui ne croit plus ni à la raison ni à la tradition. Le suffrage universel est un principe ; ce n’est pas une institution ; il est né pour toujours faire quelque chose, et par conséquent pour défaire tout ce qui le précède. Et ne croyez pas qu’il se respecte lui-même ; ne croyez pas que le suffrage universel de 1852 respecte le suffrage universel de 1848 ou de 1849. Si le suffrage universel tenait compte d’autre chose que de sa volonté de la minute, il se suiciderait. Le suffrage universel crée sans cesse et détruit sans cesse. C’est sa nature et sa manie de toujours créer, et par conséquent il faut qu’il détruise. Il a créé la république et la présidence de