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« D’autre part, les éternels fauteurs de désordre vont trouver les bourgeois et lui tiennent à peu près ce langage :

« Voyez-vous ce gros monsieur de la Croque-en-Sel ? Son de vient on ne sait d’où ; il y en a beaucoup comme cela au Puy ; Il prend des airs protecteurs en vous saluant, et se croirait déshonoré en franchissant le seuil de votre porte. C’est un carliste, malade d’une rage rentrée depuis la révolution de 1830, qui lui a enlevé sa place et qui vous adonné la vôtre. Il préférerait la république au régime constitutionnel bourgeois ; c’est un habit brodé qui vous fera, si Henri V revient, monter derrière sa voiture, comme un groom parvenu. Plutôt la potence et les rouges que cet affront ! »

« Bravi, bravo, brava ! crient nos bourgeois, qui répètent à leurs cliens : « Les socialistes ne parient pas trop mal ; ils ont parfois de l’esprit et sont d’ailleurs très bien intentionnés. »

« Si bien intentionnés, messieurs et mesdames, que, si cela continue, ils vous couperont le cou un de ces matins, et ce sera votre faute. En temps de révolution, c’est la récompense de la sottise politique.

Les couleurs de ce tableau sont un peu crues ; mais le tableau est vrai. C’est aussi à un excellent journal des départemens, la Province, publiée à Limoges que nous avons emprunté nos citations de chansons. Avant la révolution de février, quand les questions étaient toutes politiques, nous allions dire toutes personnelles, la presse des départemens ne pouvait ou ne voulait pas suivre dans tous ses détails le jeu compliqué des partis parlementaires. Depuis la révolution de février, comme la question est une question sociale et que la partie se joue partout, la presse départementale a pris un grand ascendant. Elle est partout sur la brèche ; partout elle fait sentinelle pour avertir la société, pour indiquer l’approche des ennemis. Que manque-t-il donc au parti modéré pour fonder la sécurité du pays ? Il a partout des organes courageux et habiles ; il a la majorité dans l’assemblée législative, et cette majorité a réélu pour son président l’homme qui, jusqu’ici, a le mieux su maîtriser les incartades turbulentes de la montagne. Le pouvoir exécutif n’est pas moins dévoué que le pouvoir législatif à la cause de la modération et de l’ordre. Averti du danger par les vigilantes sentinelles qu’il a partout dans les départemens, maître des lois et de leur exécution, que manque-t-il donc au parti modéré ? Ne sait-il pas où est le mal ? ne sait-il pas que les doctrines socialistes qui s’accréditent dans les campagnes ne sont dangereuses que parce que, dans trois ans ces doctrines voteront sur la présidence, sur l’assemblée législative, sur la république en un mot ? Séparez le vote des doctrines, le danger disparaît. En parlant ainsi, nous ne proposons pas d’abolir le suffrage universel, nous proposons seulement de le régler. Etablissez, comme l’avait fait la constitution de 91, l’élection à deux degrés ; faites que les électeurs primaires aient à nommer d’autres électeurs qui eux-mêmes nommeront les représentans ; nous sommes sûrs alors que les électeurs primaires ne nommeront pas, dans leurs communes, les plus brouillons et les plus factieux. Comme ils nommeront ceux qu’ils connaissent, ils nommeront les honnêtes gens, et ceux-ci, à leur tour, enverront à l’assemblée des hommes honnêtes et éclairés. La réforme du suffrage universel, voilà le but auquel doit tendre l’assemblée législative ; sans cela, elle n’aura été qu’une halte dans le mal.