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accusation dont l’excès même attestait sa toute-puissance. Catherine fixa son choix sur Stanislas, non sous l’empire d’un souvenir déjà éteint, mais avec la certitude que le candidat ne changerait jamais son sceptre en épée. Si Poniatowski possédait à quelques égards ce qu’il faut pour arriver au trône, il manquait de tout ce qui fait qu’on sait s’y maintenir et s’y défendre. Personne n’était plus propre à être élu, gouverné, ou, s’il le fallait, détrôné.

Quoique fermement arrêté, un dessein si hardi ne pouvait se passer d’auxiliaire. Ce n’est pas en Autriche, ce n’est pas en France qu’on pouvait le trouver. Le retour de la Russie vers la Prusse lui avait aliéné les cours de Versailles et de Vienne, ou du moins il n’y avait plus entre ces cours et celle de Pétersbourg que de froides relations et des apparences d’intimité, débris d’une ancienne alliance. Catherine ne pouvait donc compter que sur Frédéric. Encore toutes les difficultés n’étaient-elles pas aplanies entre eux. Les événemens de Pologne pouvaient les faire renaître, Le roi de Prusse et l’impératrice de Russie étaient conduits par des vues très différentes. L’objet permanent des deux couronnes allait se représenter dans toute sa force. Nous l’avons dit et nous devons le redire encore, parce que c’est là qu’est l’explication de ces graves événemens : pour Catherine, il s’agissait uniquement de faire un roi et d’embrasser la défense des dissidens, afin de mieux dominer l’ensemble, la totalité de la république ; dans cette vue, elle devait non-seulement ne pas désirer, elle devait craindre un partage de territoire qui devenait nécessairement un partage de domination. Frédéric, au contraire, n’avait d’autre intérêt que l’accroissement de la Prusse, ce qu’il ne pouvait obtenir que par un recul de sa frontière aux dépens de la Pologne, en d’autres termes un partage. Le secret de la négociation consistait dans une conciliation difficile entre deux intérêts très différens. Le roi de Prusse ne prenait aucune part personnelle à l’élection d’un roi ; il répugnait surtout à l’élévation du comte Poniatowski, soit en dédaignât ce jeune ambitieux, soit qu’il vît en lui un représentant trop direct, trop dépendant d’une cour étrangère, et, comme on le dirait aujourd’hui, un préfet de Catherine. Peut-être aussi n’exagéra-t-il cette répugnance que pour donner de l’inquiétude à son alliée. En cédant sur ce point ; il espérait obtenir le consentement de l’impératrice à un partage et l’amener à permettre que la Prusse prit Dantzick, éventualité sur laquelle Catherine opposa alors, et même après le démembrement, une résistance long-temps invincible. Outre la difficulté de s’entendre sur ces bases, des questions de détail arrêtaient aussi la conclusion du traité. Le roi de Prusse ne voulait envoyer 10,000 hommes en Pologne qu’à la condition qu’ils fussent défrayés par la Russie. En retour d’une charge si onéreuse, l’impératrice exigeait qu’au lieu de les laisser sur la frontière, Frédéric ordonnât à