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connaître le pays, et il crut trop légèrement des gens qui vinrent lui parler complots et révoltes, quand il s’agissait simplement d’une chose fort ordinaire parmi les Arabes. Les spahis envoyés pour arrêter le prétendu fauteur de l’agitation, nommé Bou-Zian, eurent un conflit avec la population, et furent obligés de se retirer sans avoir pu exécuter les ordres qu’ils avaient reçus. L’étincelle était partie ; le désordre se propagea aussitôt. On se plaignit de ce que les marabouts, jusqu’alors exempts d’impôts, y avaient été assujettis cette année, et de ce que chaque dattier avait eu à payer 45 centimes de plus que d’ordinaire. Cette agitation, qui n’était qu’une fable un mois auparavant, ne devint, ainsi que trop réelle, et l’on dut se hâter de la réprimer ; mais, à cette occasion encore, des fautes graves furent commises. Par son imprudence, M. le colonel Carbuccia éprouva un échec devant le ksour de Zaacha, et sur-le-champ l’insurrection se propagea d’une manière effrayante, excitée par les marabouts. Sidi Abd-el-Afid, marabout, un des dignitaires de l’ordre de Sidi-Abderrhaman (association religieuse), se mit à la tête de l’insurrection, et fut assez confiant dans ses forces pour venir attaquer Biskara ; mais il fut devancé par le commandant Saint-Germain, et le succès aurait été complet, si la mort de ce brave officier n’eût fait regarder aux Arabes cette affaire comme une victoire pour eux. L’agitation fut donc loin de se calmer. Propagée par les frères de l’ordre de Sidi-Abderrhaman, dont presque tous les Kabyles font partie, elle a donné la main à l’agitation du nord, au pays du Zouaga. M. le général Herbillon est maintenant dans les Ziban, avec une forte colonne, et sans doute en ce moment la révolte est près d’être comprimée. La gravité de la situation pour la province n’est pas là, elle est dans le commandement même. Les Arabes, pour qui la force est le grand prestige et le grand droit, ne comprennent que l’action directe. Un général-papier ne peut leur entrer dans l’esprit. Or c’est ce que paraît à leurs yeux le général Herbillon, depuis que le général de Salles, nommé au commandement de la subdivision de Constantine, reçoit ses ordres et parle directement aux Arabes. Ceux-ci croient l’autorité déplacée, et la considération du commandant de la province en souffre. Autrement dit, la première mesure à prendre serait de supprimer la subdivision de Constantine, rouage inutile. Une autre cause de désordre dans la province est le tiraillement de l’autorité civile et militaire. Il faudrait transporter à Philippeville le siège de la préfecture. Philippeville, plus près de Bône, renferme 5,000 Européens et 300 Arabes ; Constantine, 22,000 Arabes et 1,500 Européens. Et que peut le préfet, M. Carette, lorsqu’il est brouillé avec l’autorité militaire ? Il n’a peut-être pas la prétention de garder sa banlieue de 14,000 hectares avec ses vingt gendarmes et ses deux gardes-champêtres, à douze lieues de Ben-Asdin, qui est libre de venir s’y promener selon son caprice. Grace à cette mesure, on verrait disparaître ces froissemens d’amour-propre et de vanité personnelle qui nuisent tant au bien du service, et que Constantine, comme toutes les villes où l’on est constamment en contact dans un étroit espace, voit renaître trop souvent. Le grand point pour la province, ce serait donc, avant tout d’y relever l’autorité et le principe d’autorité, car du jour où ce prestige s’affaiblit pour les Arabes, ils songent à un soulèvement. Vis-à-vis des Arabes, l’action personnelle du chef est presque tout, l’expérience nous l’a prouvé maintes fois. On dit, du reste, qu’appréciant la gravité de cette situation, le gouver-