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dans l’étude des langues savantes, le grec et le latin, l’histoire, la géographie, les connaissances littéraires en un mot ce qu’on a nommé les humanités. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a reproché à cette éducation d’employer sept à huit ans de la jeunesse à des étude qui n’ont pas d’application pratique ; ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a proposé de substituer à cette haute et fine culture de l’intelligence des connaissances plus usuelles, de mise plus fréquente dans la vie, les langues vivantes par exemple, les notions des sciences applicables au arts et métiers. Ce qu’il y a de matérialiste dans ces reproches nous a toujours profondément choqué, et il nous en coûte d’avoir l’air de nous y associer. Dieu sait si l’éducation classique nous est chère, et si nous avons en honneur la philosophie et les lettres ! Je prendrais volontiers le ciel à témoin que rien ne m’inspire plus de répugnance que l’idée, souvent proposée, de transformer en quelque sorte nos collèges en un atelier industriel, où la division du travail serait rigoureusement observée, ou l’un apprendrait à devenir négociant, un autre chimiste, un autre médecin, celui-ci manufacturier et celui-là agriculteur, et où pas un n’aurait un moment à donner à la connaissance de la vérité désintéressée, à l’admiration du beau idéal. Ce que la philosophie et les lettres sont pour l’humanité et ce qu’elles ont été pour la France, homme, nous le sentons en nous-même, Français, nous le proclamons avec reconnaissance. Il n’y a que la sottise qui demande impertinemment à quoi servent la philosophie et les lettres. Elles servent entre autres bienfaits, à donner à l’esprit ce mouvement qui enfante les grandes découvertes scientifiques et, par suite, les progrès matériels du bien-être. À quoi servent les tours qui s’élèvent au-dessus des cités ? À défendre et à mesurer le sol même où vous rampez. Pour en venir au point qui touche de plus près à l’éducation, l’étude des langues, et en particulier de ces langues savantes, débris d’une civilisation sans égale, ne nous paraît pas, comme on le dit trop souvent, ingrate et stérile. Calque vivant de la pensée, c’est l’homme tout entier qu’on retrouve en les étudiant. Ce sont les facultés de l’homme entier qui se fortifient dans cette analyse. Dans leurs métaphores naturelles, l’imagination a peint toutes ses couleurs ; dans leur syntaxe savante, la logique a déployé tous ses ressorts. C’est donc à bon droit que l’étude du latin et du grec fait le fond de l’éducation de tout homme qui prétend à figurer au premier rang d’une société, et le jour où il en serait autrement marquerait une décadence dans l’intelligence d’une nation dont le contre-coup se ferait bientôt sentir dans ses mœurs.

Mais à quelles conditions l’éducation littéraire peut-elle produire ces heureux effets ? Nous n’hésitons pas à le dire : c’est à la condition qu’elle soit sérieuse et complète, que ceux qui s’y adonnent la creusent jusqu’au fond et la poussent jusqu’au bout. Une étude des langues superficielle