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canalisation. Il en vantait les avantages, l’égalité de la profondeur des eaux, la rectification de ces sinuosités profondes qui retardent le cours des rivières. — Et pourquoi donc pensez-vous, dit enfin le président impatienté que la Providence ait fait les fleuves ? — Pour donner de l’eau aux canaux latéraux, répondit l’imperturbable spéculateur.

L’administration française, et dans ce mot nous comprenons l’université comme nos autres grandes institutions, nous paraît être ce spéculateur téméraire qui a détourné partout les eaux vives des lits creusés par la main divine pour les enfermer dans des canaux faits par la sienne. Ces canaux sont tracés au cordeau ; ils ont des écluses qui montent, par des niveaux calculés, d’étage en étage ; mais ces parois de rochers qui résistaient au rongement des eaux, mais ces bois qui arrêtaient les fontes de neiges, que sont-ils devenus ? Aucune des digues posées par la nature et qui contiennent le débordement des passions n’est restée debout, ni l’attachement si vif chez l’enfant pour les lieux qui l’ont vu naître, ni la puissance des liens de famille, ni la prédilection naturelle au fils pour l’héritage de la profession et du talent de son père. Un tiers de la France, dépaysé dès l’enfance, erre sur sa surface, n’ayant plus de toit domestique ; la France est une nation déracinée.

S’il existe quelque remède à une maladie qui semble parvenue à son dernier épisode, ce que nous n’osons pas affirmer, on ne peut le trouver, à coup sûr, qu’en marchant droit à sa source c’est par l’éducation qu’il faut commencer. Nous essaierons, dans un prochain travail d’indiquer quelques moyens, dont nous n’exagérons pas la portée, mais dont la pratique nous paraît aisée dans une certaine mesure et l’utilité certaine. Nous ne le ferons pas, assurément, sans encourir le reproche de vouloir remonter le cours des âges, de combattre des faits devenus irrésistibles, prétexte habituel pour ne rien faire, qui convient merveilleusement à l’esprit fataliste d’un public sceptique et à la paresse d’une nation fatiguée. Nous ne pouvons espérer non plus de contenter complètement ceux à qui une inimitié ardente semble faire croire qu’il suffirait de détruire l’Université pour que tout le mal de l’éducation disparût. La tâche ne nous parait ni si impossible ni si simple : nous nous adressons au petit nombre d’esprits sensés de toutes les opinions, qui sont alarmés sans être découragés, qui ne se font aucune illusion sur les maux présens, mais ne veulent se priver pour les combattre, d’aucun des élémens qui existent, qui croient, d’une part, que l’on n’a le droit de détruire qu’à la condition de remplacer, et, de l’autre, que, si la société doit périr, elle ne peut succomber honorablement qu’après avoir fait tout ce qui lui était possible pour vivre.


ALBERT DE BROGLIE.