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— Adressez-vous au peloton qui vient d’entrer, et demandez-lui s’il veut de vous. — Je me tournai vers le peloton, je dis deux ou trois mots que je ne juge pas à propos de consigner ici, et je fus nommé. Je sortis de cette chambre chef du quinzième peloton. Je me trouvai donc dans un des couloirs de la caserne de Reuilly avec une trentaine d’hommes que je ne connaissais pas, et qui ne me connaissaient pas non plus, tous vainqueurs de février dans leur costume de bataille. Un sous-officier d’un régiment d’infanterie, qui était en désertion et qui remplissait à la fois les fonctions d’adjudant-major et d’officier de casernement, nous conduisit dans une chambre toute dévastée, où se trouvaient quelques lits sans fourniture. C’était là que, jusqu’à nouvel ordre, nous devions séjourner moi et mes hommes, car je disais mes hommes déjà.

Je l’ai bien des fois remarqué, le peuple, quand il est soustrait à l’influence des faquins pleins de fiel qui s’arrogent le droit de le conseiller, recouvre tout à coup les bonnes et anciennes traditions de sa nature. Il comprend le respect, désire la justice, et recherche l’autorité. J’ai été étonné souvent de trouver, chez des hommes qui semblaient ne respirer que la guerre des barricades, une expression, un geste, un mot, qui auraient convenu à des combattans de la Vendée. La première nuit que j’ai passée avec les nouveaux compagnons de ma vie fut marquée par un trait dont je garde un profond souvenir : je venais de me jeter tout habillé sur un de ces lits dégarnis dont notre chambre était meublée ; je fermais les yeux et commençais à m’assoupir, quand je sentis deux hommes qui s’étaient approchés de moi sur la pointe des pieds, étendre sur mes épaules une couverture. Les couvertures étaient au nombre de trois ou quatre pour toute la chambrée, et il fallait voir avec quelle violence, il fallait entendre dans quelle langue on se les disputait. Je songeai avec une émotion que je retrouve encore à d’autres temps, à d’autres mœurs, à d’autres soldats ; puis, je fis un retour qui m’attendrit sur l’étrangeté de mon destin, qui, en ce moment où tout ce que j’aimais était livré à l’insolence, me faisait rencontrer un respect digne des âges passés parmi les enfans les plus désordonnés de ce temps révolutionnaire. Enfin, je le dirai, un sentiment pieux s’éleva au fond de mon cœur. Il est certaines pensées qui n’apparaissent jamais dans l’ame qu’à la manière dont certaines étoiles font leur apparition dans le ciel, par chœurs immortels, par groupes radieux. Je ne pus aussi m’empêcher de songer pendant cette nuit, tout en n’établissant, bien entendu, aucune comparaison entre moi-même et celui auquel je pensais, à cet écrivain dont les tristesses et les voyages ont occupé tant d’esprits au commencement de ce siècle. L’auteur de René, me disais-je, couché dans son manteau au fond d’une forêt de l’Amérique, n’était pas plus perdu que moi et dans un