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monde plus étrange. Un coup de feu partit tout à coup, au milieu de la nuit, dans notre chambre ; aucun de ceux qui étaient étendus sur les lits ne fit un mouvement, et ne s’informa de ce qui se passait. L’ivresse de l’insurgé triomphant, compliquée d’une insouciance de boucanier, tel était le caractère de ces bandes encore armées et s’obstinant à garder leurs armes. La vie était peu de chose parmi nous, moins que l’or parmi les riches et les puissans du monde. C’est là, du reste, ce qui m’a rendu, dès les premiers jours, ces mœurs supportables et chères même quelquefois. Le détachement de la vie est la première condition de la vie spirituelle et de la vie élégante. C’est par la que les bandits touchent aux raffinés et aux saints.

On parvint cependant à nous ôter notre armement de malandrins, qui chaque jour entraînait des accidens mortels, en nous promettant un armement régulier. Je vois encore un de mes collègues, un chef de peloton, qui depuis est devenu ce qu’on nomme un brosseur dans les régimens, avec une grande diablesse de rapière qu’il avait prise chez un armurier, et dont il ne voulait pas se défaire. Pour aller à la corvée du pain, ce bizarre fonctionnaire s’armait de son épée. Notre cuisinier avait un sabre, enlevé à un garde municipal, qu’il portait avec son tablier. N’était-il pas cuisinier du roi, comme Vatel, puisque nous étions tous souverains ? Un jour, ce sabre à la main, il sortit avec quatre hommes, marchant par le flanc, l’arme au bras, et coiffés en mitrons comme lui. Cette sortie avait pour but l’exécution d’un chat, qui fut en effet passé par les armes pour s’être rendu coupable de vol, ni plus ni moins que certains vainqueurs des Tuileries. Assurément ceux qui fusillèrent cette pauvre bête auraient procédé avec beaucoup moins de solennité, s’il se fût agi tout simplement d’un de leurs camarades. La fantaisie régnait chez nous. Salvator Rosa et Callot auraient pu nous prendre des types, l’un de condottieri et l’autre de diablotins.

Nous avions cependant de beaux momens ; de ce nombre fut celui où l’on nous distribua des armes. Une nuit, l’ordre nous est donné à tous de nous mettre sur pied et de nous assembler dans la cour de la caserne. Nous descendons : que se passait-il ? Le bruit courait déjà qu’on se battait à Paris. Nous n’avons pas de fusils, mais nous en trouverons, criait-on de toutes parts, et puis les pavés sont là. Chacun se réjouissait, et personne ne s’enquérait des ennemis qu’on devrait combattre. Certains artistes ont pris pour devise l’art pour l’art ; les coups pour les coups étaient la vraie devise de la garde mobile On sort ; mais, au lieu de se diriger vers les boulevards, voilà qu’on prend la route de la barrière du Trône et de Vincennes. Bientôt la vérité est connue, nous allions chercher des armes.

Je ne suis certes pas suspect d’être enclin aux enthousiasmes populaires ;