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toute la journée. On ne peut pas imaginer tous les bruits qui agitaient nos quartiers à la fin d’un jour de consigne. Les communistes brûlaient l’Hôtel-de-Ville, on s’égorgeait à la porte Saint-Martin, on pillait à la Madeleine ; c’était une confusion de nouvelles qui auraient glacé d’effroi l’esprit de tout honnête citadin, mais qui couraient dans nos rangs à travers les rires et les chansons. L’officier qui arrivait tout à coup au milieu des rumeurs en même temps les plus sinistres et les plus joyeuses portait l’ordre à notre commandant d’envoyer à la place un détachement en armes ; trente hommes avec des sacs devaient recevoir des cartouches. Les cartouches ! c’était notre ambition, notre rêve. Les Parisiens ont pour la poudre une bizarre passion ; ils l’aiment comme les avares aiment l’or. Si, pendant le combat ils la dépensent en prodigues, une fois le combat fini ils la cachent, ils l’enserrent. Nous n’avions pas d’homme qui n’eût au fond d’un vieux mouchoir de quoi ensanglanter le pavé et se noircir la bouche ; mais ces trésors individuels, ces épargnes des barricades de février, n’auraient pas suffi, au mois d’avril, pour une brûlée, je me sers du terme militaire, telle que Paris l’attendait et que nous la souhaitions. Quand on sut qu’on allait faire une distribution générale de cartouches, ce fut une joie qui eût rendu certain de la victoire un général chargé de nous mener au feu. On frappait des mains, on sautait, on entonnait les refrains les plus gais, et, quand, les sacs arrivèrent, ce fut une ronde du sabbat dans la cour. Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats se tenaient par la main. Un de ceux qui donna le branle reçut un des premiers, au mois de juin deux balles en pleine poitrine. Aujourd’hui encore cependant je ne condamne pas cette gaieté. Je l’aurais mieux aimée aux frontières, c’est certain ; toutefois, même à Paris, je trouve qu’elle n’était pas déplacée. Il ne faut apporter de tristesse dans aucune guerre. Nous verrons comment la garde mobile suivit ce précepte que lui enseignait son instinct.

C’était déjà dans l’abondance des fusils et des cartouches, mais encore dans la pénurie des vêtemens, que la garde mobile faisait un service dont les bourgeois de Paris auraient dû garder un long et reconnaissant souvenir. Qu’on se rappelle ces jours où le socialisme triomphant voulut imposer la générosité, même la prodigalité, aux propriétaires. Quiconque ne se contentait pas de recevoir pour revenus de sa maison quelques salves de coups de fusil et un drapeau portant une inscription en son honneur était d’être brûlé ou pendu en effigie, et roué de coups en personne. C’était, à l’entrée de la nuit, dans tous les quartiers populeux, un effroyable tapage et des scènes incroyables. La rue du Faubourg Saint-Antoine, entre autres, devenait pour tous les propriétaires un véritable enfer, un affreux Tartare. D’étranges