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sensation électrique. Des voix innombrables proféraient des paroles dont il ne nous parvenait que le bruit. Nous sentions qu’au milieu de ce chaos Un nouveau monde révolutionnaire essayait de se former et de surgir. La puissance qui l’évoquait était une puissance inconnue. Un de ces hommes qui n’ont ni le cœur ni le costume du peuple, un de ces démagogues en habit noir qui disparaissent de la rue au moment où s’y élèvent les barricades, se glissa tout à coup dans nos rangs et se mit à crier : « L’assemblée nationale est dissoute ! sa république est finie ! Vive la république démocratique et sociale ! » Quelques instans après, je vis passer une bande d’hommes à longues barbes qui répétaient le même cri en ajoutant : « À l’Hôtel-de-Ville ! » Puis nos tambours battirent la charge. Je compris alors ce qui venait de s’accomplir, et j’eus l’espoir de voir enfin le trésor des justes colères se vider.

L’heure de la justice n’était pas venue encore. Les misérables qui avaient tenté cette infame entreprise, qu’un poète a nommée une étourderie, manquèrent ce jour-là de cœur. La foule qui encombrait la place Bourbon et ébranlait les grilles de l’assemblée se dispersa devant nous. Un de nos bataillons entra au pas de charge dans la chambre et chassa du temple de la loi, non point les vendeurs, mais les larrons. Les autres bataillons se postèrent aux environs et dans les cours même de l’assemblée. Je suis persuadé que, si, le 15 mai, une action sanglante avait eu lieu, on eût mis en pièces le drapeau rouge et ceux qui le portaient. La garde nationale était alors animée d’une énergie qui était fort affaiblie aux journées de juin. Depuis un mois, des milliers d’hommes étaient exaltés par les fatigues et par les veilles. Toutes les fois que le rappel battait, le plus pacifique bourgeois bourrait ses poches de cartouches, et souhaitait, au péril de sa vie, d’aller conquérir son repos. Des fusils destinés aux lièvres et aux perdrix étaient décrochés chaque matin pour la chasse humaine. Paris n’était plus une ville habitable. Une presse exécrable y conjurait tout un essaim de fantômes qui donnaient le vertige aux plus calmes imaginations. Les sociétés des ténèbres s’étaient emparées de l’air et du grand jour. L’enfer des clubs ouvrait ses bouches de tous les côtés. On sentait qu’il fallait, à travers la mort, enlever Paris aux dominations sinistres, et le rendre à l’esprit qui doit le gouverner, c’est-à-dire à l’esprit régulier, paisible et doucement actif des nations civilisées.

La garde mobile se fût battue le 15 mai comme au 23 juin. Elle fit tout ce qu’il était en son pouvoir de faire dans cette journée. Pas un homme ne poussa dans ses rangs un seul des cris factieux qu’on s’efforçait de nous arracher. Quand on ordonna aux baïonnettes de se croiser, elles se croisèrent ; les fusils ne demandaient qu’à faire feu ; nos cartouches brûlaient nos gibernes. Le soir, le bataillon auquel