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par un filet d’eau petit et vif qui se frayait un chemin, comme un être vivant dans les parties les plus sèches, les plus ombragées et les plus obscures du lit de ce qui redevenait, à sa suite, une rivière mouvante. « Je suis convaincu, dit M. Mitchell, en considérant la situation de mes compagnons qui battaient le pays, exposés aux souffrances d’une extrême chaleur et d’une soif ardente et détournés, souvent de leur route par le manque absolu de toute espèce qu’aucun d’eux n’oubliera jamais cette scène. Mon premier mouvement fut d’accueillir à genoux ce flot, produit des orages éloignés qui nous ramenaient l’abondance. La scène était sublime en elle-même, et l’effet en était d’ailleurs bien grandi à nos yeux par notre position. Le ciel même semblait présager un spectacle nouveau. L’étoile qu’on nomme Argus, avait pris des proportions extraordinaires et se montrait juste en avant de la belle constellation du croix du sud, qui, légèrement inclinée au-dessus de la rivière, apparaissait à nus yeux dans cette portion de la voûte céleste que les arbres laissaient apercevoir.

Le flot remplit graduellement le lit de la Macquarie et s’éloigna ensuite beaucoup plus lentement qu’on ne l’aurait cru. Plus d’une heure après, les voyageurs entendaient encore le murmure, si doux à leurs oreilles, de l’eau qui se répandait sur le gravier sec et sonore. Le lendemain, à leur réveil, le bruit avait cessé, mais la rivière roulait à pleins bords des eaux troublées et jaunâtres.

Quelques jours après, les voyageurs entrèrent dans ce qu’on appelle le pays intermédiaire. C’est un territoire inhabité entre les dernières stations des colons et les tribus indigènes de l’intérieur de l’Australie. Celles-ci se tiennent sur la rive droite de la rivière Darling, qui coule dans cette contrée contestée ; elles épient le moment favorable pour s’emparer des troupeaux paissant sur la rive gauche ; elles les emmènent, et elles les sacrifient à leur appétit sur de grosses pierres, espèce d’autels druidiques, autour desquels blanchissent les ossemens accumulés. Les colons ne laissent pas ces rapts impunis. Sur ces confins de la civilisation, la loi est impuissante et la morale n’a guère plus d’autorité que la loi. Les propriétaires de bestiaux font la chasse aux indigènes, comme ceux-ci font la guerre aux moutons et aux boeufs. Peu importe quels sont les auteurs les vols l’indigène qui se trouve au bout du fusil du colon paie pour ses pareils. Ces meurtres appellent des représailles ; aussi les deux races sont-elles animées d’une haine irréconciliable. La bande de terrain qui les sépare pour les traces les plus tristes de leurs hostilités continuelles. On n’y voit partout que maisons abattues, laiteries détruites, étables incendiées. L’innocente nature elle-même n’est pas épargnée par la rage destructrice des populations ennemies : les arbres renversés, les sources comblées, les étangs souillés, témoignent de leur fureur. Les Cafres et les borders ou fermiers établis sur les frontières de la colonie du Cap, en Afrique, ne se font pas une guerre plus acharnée. C’est le choc naturel de la civilisation et de la barbarie. Seulement ces deux pays offrent ce contraste, que les fermiers du Cap, quelles que soient les chances des combats partiels, n’abandonnent pas le sol dont ils sont propriétaires, tandis que les colons de l’Australie, fatigués de luttes journalières, ont livré à leurs sauvages ennemis des millions d’acres de pâturages qu’ils avaient occupés.

Entre les deux partis irréconciliables, on rencontre quelques tribus plus pacifiques. Les malheureux indigènes qui sont ainsi restés neutres se voient exposés de tous côtés à des embûches ; ils en sont d’autant plus aisément victimes