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son parti eurent plus d’une occasion de se rappeler le sort de MM. Cunningham et Darke, deux voyageurs que les sauvages avaient tués précédemment par trahison sur la route même où se trouvaient nos explorateurs. Grace à la vigilance de Yuranigh, à l’exacte observance de toutes les précautions dont les expéditions antérieures avaient démontré la nécessité, et à la ferme attitude des hommes libres de la caravane, les drames commencés ont eu constamment un dénoûment comique. Le désappointement a été d’ailleurs moins grand pour les agresseurs que pour M. Mitchell lui-même, qui a vu dans ces circonstances ses théories philanthropiques démenties, par la conduite perfide des Australiens.

Un jour, c’était le 11 mai, cinq mois après son départ de Sydney, il revenait d’une excursion qu’il avait faite à quelques milles de son campement pour explorer le pays. Sur sa route, il rencontra huit naturels à qui il s’empressa d’exprimer des sentimens de fraternité. Il est impossible de dire si son langage fut compris, car les indigènes parlaient un dialecte inintelligible Ils étaient peints d’une couleur jaune, et, dans leurs cheveux noirs, ils avaient placé des plumes blanches de perroquet. Cet ornement leur donnait un air de fête que M. Mitchell trouva splendide en comparant ses vêtemens de drap à leur parure. Parmi eux était un homme remarquable par sa taille élevée et son apparence de vigueur. « Sa voix était si sonore, dit le voyageur, qu’on l’eût entendu parler sur le ton de la conversation à la distance d’une demi-mille. » En témoignage de sympathie, et sans qu’il eût rendu aucun service, M. Mitchell lui fit don d’une hache. Deux jours s’écoulèrent ; le troisième, un nouveau membre de la même tribu se présenta au camp avec le cérémonial ordinaire : il s’assit à terre, devant les tentes, escorté de plusieurs autres naturels, et il invita du geste et de la voix le chef des blancs à venir conférer. M. Mitchell eut la complaisance de l’écouter, et il s’avança vers lui un rameau vert à la main ; mais à peine fut-il à sa portée, que le sauvage lui prit son chapeau, sa montre, son compas, et se mit en devoir d’examiner toutes ses poches. Pour mettre fin à ce pillage, il fallut employer la rigueur. L’indigène se retira à regret, et l’on reconnut bientôt qu’il marchait, avec sa tribu, sur les traces de l’expédition. C’était une sérieuse menace. Sir Thomas convient qu’il se prit à regretter amèrement sa générosité de la veille. « C’est la hache qui était cause de tout, s’écrie-t-il ; le sauvage avait pris goût à nos armes et à nos bagages, et il n’était pas dans sa nature de résister au désir de s’en emparer. »

Le lendemain vers midi, il était sur le point de se diriger, à quelque distance des tentes, vers un arbre dont il avait fait une sorte d’observatoire favorablement situé pour étudier le pays environnant, lorsqu’il aperçut, dans les hautes herbes, une masse noire mouvante qui lui fit l’effet d’un quadrupède, a tête relevée comme celle d’un lion. Avec le secours d’une lunette d’approche, il eut bientôt reconnu son sauvage rampant autour de l’arbre où notre voyageur avait l’habitude de se rendre seul. M. Mitchell était menacé de périr comme M. Darke[1], et ce meurtre eût été le signal de l’attaque du camp. Heureusement, l’embuscade était éventée. Sir Thomas saisit sa carabine, et envoya

  1. Ce voyageur a été tué par les naturels dans un moment où il s’était arrêté seul derrière un arbre.