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au sauvage, en guise de nouveau témoignage de sympathie, une balle qui siffla très près de ses oreilles. En même temps, il poussa un grand cri que répétèrent en chœur tous ses compagnons. On vit alors l’aborigène fuir à quatre pattes avec l’agilité d’un kangarou. M. Mitchell poussa son cheval à sa poursuite. De l’autre côté de la hauteur, il découvrit le camp de la tribu hostile ce camp venait d’être abandonné avec tant de précipitation, que les naturels y avaient laissé leurs alimens à moitié rôtis sur le feu. On entendit leurs cris dans les bois et les appels qu’ils adressaient à leurs gins[1]. Cette panique délivra définitivement les voyageurs des importunités de la tribu ; mais la philanthropie du chef de l’expédition devait être soumise à d’autres épreuves.

Le 30 mai, M. Mitchell avait également quitté son camp, situé plus avant dans l’intérieur de toute la distance franchie en quinze journées de chemin. Pendant son absence, deux naturels se présentèrent hardiment. Tous deux étaient peints en blanc, et portaient chacun plusieurs lances et plusieurs armes d’une espèce particulière qu’on jette en l’air, et qui, après avoir bondi en tombant, viennent frapper dangereusement l’homme ou l’animal contre lequel elles sont dirigée. On appelle cette espèce d’instrument de guerre un vomerang. Aussitôt les hommes laissés à la garde du camp prirent leurs fusils, se formèrent en ligne devant les tentes, et le caporal Graham, qui les commandait fit signe aux deux intrus de se retirer. L’un d’eux, qui paraissait être le chef, une espèce de géant, s’avança seul vers le caporal, brandissant une de ses lances à la distance de dix ou douze pas. Il sembla hésiter un moment à la jeter ; puis tout à coup, comme se ravisant, il tourna le dos aux voyageurs, et leur donna à entendre par un geste méprisant, qu’il ne s’inquiétait nullement de leur attitude menaçante. Le vieux soldat ne put supporter cette injure, il déchargea sa carabine par-dessus les épaules de son grotesque agresseur, qui, tressaillant au sifflement de la balle, fit un bond de plus de deux pieds, et prit la fuite, suivi de son compagnon et des femmes. On croyait être délivré de ses visites et de ses singuliers défis ; mais il repartit quelques, jours après, accompagné de dix-sept des siens. Tous ces sauvages étaient d’urne très haute stature. Le plus petit de la bande ne devait pas avoir moins de six pieds. Sir Thomas était encore absent, et les indigènes ne l’ignoraient pas, car ils indiquèrent la direction qu’il avait prise, en invitant les hommes restés au camp à suivre leur chef et à quitter le pays. Cette fois ils étaient entrés par surprise ; leurs mains, qu’on ne pouvait détacher des objets placés sur les chariots, indiquaient assez le motif qui les attirait. On eut quelque peine à les déterminer à se retirer il fallut prétexter le désir d’entrer en pourparlers. En général, les sauvages de toutes les contrées aiment à donner de la solennité à leurs négociations impromptu. Les protocoles ne sont pas aussi longs qu’en Europe, mais l’étiquette n’est pas moins strictement observée. Vous n’obtiendrez rien d’un chef africain sans un palabre ou conférence préliminaire en présence de toute sa cour. Si vous avez une convention à faire avec un chef indien de l’Amérique du Nord, il vous faudra tout d’abord fumer le calumet autour du feu du conseil. Chez les Nègres et chez les Indiens, vous aurez en outre d’interminables discours à subir. L’éloquence

  1. Les colons ne désignent jamais par le nom de femme les indigènes du sexe féminin. Ils les appellent gins, comme les naturels eux-mêmes.