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au-dessus de ces montagnes, dont les flancs tournés en cet endroit du côté du nord-ouest, devaient recéler la source qu’il était venu chercher de si loin. Il résolut de tenter seul sa dernière épreuve. Se séparant donc de l’expédition, il prit Yuranigh avec deux chevaux chargés de provisions pour un mois, et il commença, le 11 septembre 1846, à gravir la chaîne. À cette latitude, qui est celle du 25e degré, les sommets n’ont pas plus de deux mille pieds d’élévation. Peu de jours devaient suffire pour franchir cette barrière, en calculant le temps à perdre à la recherche de l’eau et des passages praticables. Les voyageurs s’engagèrent dans une vallée qui formait une impasse au fond de laquelle ils se trouvèrent en face d’un pic élevé. Ils essayèrent de le gravir ; mais un précipice profond, qui semblait une entrée de l’enfer, arrêta leur marche. La montagne reçut le nom de Pluton. Le lendemain, ils pénétrèrent dans une autre vallée, qui était fermée également par un sommet élevé : ils le franchirent heureusement. Au-delà s’étendait une seconde ligne de montagnes plus haute que la première ; les abords en étaient difficiles. Un fourré de vignes entrelacées arrêta les voyageurs au passage. Les pampres pendaient en guirlandes d’un arbre à l’autre, et plus d’une fois M. Mitchell et son compagnon se virent enlevés de leur selle et jetés à terre par ces festons, qui avaient la solidité de cordes tendues sur le chemin. Vint ensuite un bois de jeunes pins tellement serrés, qu’une journée entière se passa à le traverser. Plus nos voyageurs montaient, et plus la route devenait impraticable. Aux pins succéda l’arbre dont nous avons déjà parlé, qui projette des branches dures, sèches et pointues, comparées par M. Mitchell à des baïonnettes. Il dut renoncer à vaincre cette formidable défense de la nature, et il se jeta dans le lit d’un torrent desséché. Ce torrent le conduisit entre les bords d’une petite rivière sans eau, et il continua à suivre cette route creusée par la Providence ; mais ce n’était pas là ce grand cours d’eau qu’il cherchait au terme d’un voyage de plusieurs centaines de lieues. La petite rivière coulait à près de quinze cents pieds au-dessus du niveau de la mer. On coucha sur la rive, et, dès que le jour parut, M. Mitchell, escaladant un rocher, examina le pays environnant. « J’aperçus, dit-il, une succession de plaines et de collines qui s’étendaient aussi loin que l’horizon. Dans la direction du nord-ouest, une double rangée d’arbres marquait le cours d’une rivière dont on pouvait suivre des yeux les sinuosités aussi but que la vue pouvait porter. J’obtenais donc enfin la réalisation de mes plus chères espérances ; je découvrais une rivière intérieure coulant vers le nord-ouest au cœur d’un pays ouvert qui se développait également dans cette direction. Le ravissement d’Ulloa, lorsqu’il découvrit l’Océan Pacifique, ne surpassait pas certainement celui que j’éprouvai en cette occasion ; la pieuse reconnaissance qu’il ressentit pour celui qui lui accordait la grace de faire une telle découverte ne pouvait être plus vive que mes sentimens de gratitude. »

Il fallut plus d’une journée de fatigues pour atteindre cette rivière, but de tant d’efforts, objet d’une joie si grande et si fausse, hélas ! M. Mitchell y arriva pourtant. La rivière était large et pleine ; elle coulait dans un canal bordé de beaux arbres et de luxurians pâturages. Des milliers de cacatoës blancs habitaient les hautes branches voisines ; des canards sauvages flottaient sur les eaux. Les voyageurs virent des pélicans s’élever au-dessus de leur tête. Des fleurs nouvelles étalaient leurs calices innommés, et répandaient dans l’air des parfums