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le hardi voyageur au retour peut faire juger de ses fatigues et de ses dangers.

La voix impérieuse, absolue, la voix du chef, avait donné l’ordre du départ, et nous devions nous éloigner après avoir entrevu ces horizons sans fin ; mais le souvenir du désert et cette impression pleine de majestueuse grandeur que nous avions ressentie ne pouvait s’effacer si vite. Bien souvent depuis lors, sous la tente des tribus nomades du Sahara, qui, dans leurs courses aventureuses vont, comme le flux de la mer, frapper tantôt une rive, tantôt une autre, nous avions interrogé ces routiers des solitudes. Un jour entre autres, après que le repas de Dieu eut rassasié les voyageurs, un vieux pilote du désert avait commencé un long récit ; mais l’heure du repos était venue avant que sa parole eût achevé de nous apprendre ce pays. La guerre et ses hasards de chaque jour nous séparèrent le lendemain, et depuis, pour chacun, il est arrivé ce qui était écrit, nous ne nous sommes jamais revus. Ce récit commencé n’avait fait qu’exciter ma curiosité sans la satisfaire, lorsque dernièrement je lus un livre qui n’était autre que la relation du vieil Arabe[1], recueillie par M. le colonel Daumas de la bouche d’un homme de même trempe. En lisant ce curieux journal de voyage, il me semblait entendre encore mon vieux conteur des hauts plateaux. J’ai pensé qu’après être venu, avec une colonne française, a l’Abiot-Sidi-Chirq, l’une des dernières oasis du Sahara, vous trouveriez, comme moi, quelque intérêt à continuer cette route avec le voyageur arabe, qui, s’enfonçant dans l’intérieur du pays, vous mènera, après six mois de courses, de fatigues et de dangers, jusqu’au royaume d’Haoussa, à plus de huit cents lieues de la côte.


II

Tous les ans, de l’Abiot-Sidi-Chirq, où notre colonne s’était arrêtée, part une caravane qui passe par Méteili, et va jusqu’au Soudan. C’est la route suivie par le conteur arabe ; mais, avant de nous y engager sur ses traces, il est bon de jeter d’avance un rapide coup d’œil sur le pays que nous allons parcourir avec lui.

L’Afrique, du nord au centre, se divise en trois régions distinctes. La première, connue sous le nom de Tell ou pays des grains, monte, par des pentes constantes, jusqu’à la région des hauts plateaux. Celle-ci sous le nom de Sahara, du Tell au désert, dont le niveau est à peu près le même que celui de la mer. Les hauts plateaux nourrissent de nombreux troupeaux de moutons, et, d’espace en espace, l’on

  1. Le Sahara et le Grand Désert, itinéraire d’une caravane au pays des Nègres, par M. le colonel Daumas. – Paris, 1849, chez N. Chaix, rue Bergère, 20.