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de ceux qui la composent va d’abord chercher des marchandises d’échange aux entrepôts des Béni-Mzab ; puis, revenu avec la charge de trois chameaux, l’on songe aux provisions de la route. Voici en quoi ces provisions consistent pour chacun : « un saà (sac de 80 kilogrammes environ) de couscoussou, un saà et demi de dattes, une outre de beurre, de la viande séchée, deux outres pleines d’eau, un seau en cuir avec sa corde pour abreuver les chameaux, deux paires de chaussures, des aiguilles à coudre le cuir et des lanières pour les raccommoder, un briquet et de l’amadou. »

Mais, pour un si long voyage, ce n’est pas assez de pourvoir à la faim et à la soif ; il faut être en garde contre les attaques à main armée, car les meilleurs amis d’un voyageur sont un bon fusil, un pistolet et son sabre. Les compagnons de Cheggeueun prirent donc ces armes « avec des pierres à feu, de la poudre et des balles pour l’avenir, et pour le présent vingt-quatre coups tout prêts dans les vingt-quatre roseaux de la cartouchière[1]. » Chacun d’eux ensuite choisit quatre forts chameaux bien bâtés, bien outillés : trois pour les marchandises, l’autre pour les bagages et l’on décida que le jeudi serait le jour de la séparation, car le prophète a dit : « Ne partez jamais qu’un jeudi et toujours en compagnie ; seul, un démon vous suit ; à deux, deux démons vous tentent ; à trois, vous êtes préservés des mauvaises pensées, et, dès que vous êtes trois, ayez un chef. »

Comme l’on quittait Mételli, la caravane a rencontré la belle Messaouda, dont le nom veut dire heureuse, le cheik Salah et sa fière jument. Les yeux ont été réjouis par une jeune femme, par un beau cavalier, par un beau cheval. S’il plaît à Dieu, le voyage sera heureux, car au départ Dieu avertit toujours ses serviteurs par un présage ; mais il faut être prudent, « car celui qui met la tête dans le son sera becqueté par les poules. »

Il faut écouter les conseils de Cheggueun, les retenir religieusement, se fier en lui ; son œil est toujours en éveil et à l’heure du repos sa vigilance redouble. « Au premier bivouac, comme les voyageurs cédaient au sommeil, ils furent éveillés par une voix forte qui crait : « Eh ! les gardes ! Dormez-vous ? » C’était Chegguenn, qui, de la porte de sa tente, avait fait cet appel. — Nous veillons, répondirent les gardes. — Et le calme reprit. Une heure après, la même voix les éveilla encore, et d’heure en heure il en fut ainsi jusqu’au matin. »

La caravane avançait toujours, mais, à mesure qu’elle gagnait vers le sud, la prudence de Cheggueun devenait plus grande, et aux précautions ordinaires il en ajoutait d’autres encore. Il se leva plusieurs fois pendant la nuit pour tenir les gardes éveillés et pour crier lui-

  1. Les Arabes placent leurs cartouches dans l’intérieur de roseaux coupés.