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d’Autriche et de Turquie ressentent pour le czar conserverait sa violence ? Il n’y faut pas compter. Il n’est point rare de rencontrer des Polonais qui regarderaient l’union de la Pologne avec la Russie aux conditions d’avant 1830 comme une raison suffisante de se rapprocher de la nation russe. Supposez la Russie à Constantinople, et supposez-la moins pesante dans son despotisme les peuples slaves de Turquie auraient-ils dans leur haine plus de persévérance que les Polonais ? Plus rapprochées des Russes par la langue et par la religion que ne le sont les Polonais, les provinces de Bulgarie, de Servie, de Bosnie, la tribu du Monténégro, déjà plus d’à moitié russe, résisteraient-elles à la séduisante pensée d’être les membres du plus vaste empire qui aurait été dans les temps modernes ? Que ceux qui se berceraient de cette espérance se détrompent. La Russie à Constantinople possèderait en Orient une irrésistible influence, et, pour peu qu’elle fût modérée dans la poursuite de sa conquête parmi les chrétiens slaves, il se pourrait que la soumission de ces peuples fût spontanée. — Eh bien ! soit, disent les optimistes à outrance ; plus la Russie s’agrandira, plus elle sera faible. Dès l’instant où l’empire s’étendrait de Saint-Pétersbourg à Constantinople et de Constantinople à Venise, tout ce grand corps s’écroulerait par l’absence d’unité et de lien entre ses membres. Erreur nouvelle et plus grande que la première ! il y aurait entre tous ces peuples l’unité la plus étroite à laquelle une nation puisse aspirer : l’unité de la race, de la langue et des mœurs. Les Valaques et les Magyars seraient seuls en désaccord avec cette vaste agglomération de peuples, et ce désaccord serait trop peu redoutable pour rompre l’harmonie du colossal ensemble. Est-ce que j’invente, ou rêvé-je ? Non ; il n’y a pas dans l’Europe orientale un slaviste qui ne voie l’avenir sous de telles couleurs. Les uns l’envisagent comme une perspective brillante à laquelle ils s’abandonnent ; la plupart, jaloux de sauver l’individualité de leur tribu d’une absorption dans cette vaste unité, essaient de conjurer cette menaçante vision ; aucun ne doute que ce ne fût un problème irrévocablement résolu si jamais la Russie entrait en possession de Constantinople.

Il n’en est point question, quant à présent sans doute, il est reconnu pourtant que Constantinople est en danger chaque fois que la question d’Orient vient à se rouvrir, et nous demanderons sincèrement : Est-ce trop de prévoyance que de compter parmi les éventualités de l’avenir un réveil de la question d’Orient ? est-ce trop de prévoyance dans la crise où l’Europe orientale est plongée ? Le cabinet de Vienne n’est pas seulement pour la Russie un ressort moral qu’elle emploiera librement à ses desseins particuliers dans les conflits diplomatiques qui quotidiennement surgissent à Constantinople : il y a tel cas où l’Autriche serait entre les mains de la Russie le plus redoutable dissolvant pour l’empire turc. Veut-on savoir comment ? C’est que l’Autriche, s’appuyant, par exemple, sur les forces slaves ou fermant les yeux sur la propagande dont la Croatie est le foyer, peut aujourd’hui, mieux que la Russie elle-même, tromper les populations de la Turquie, et, plus facilement que les Russes, susciter parmi elles de folles pensées de révolte. En dernier lieu, ces insurrections profiteraient toujours à la Russie. Elle seule en Orient est en mesure d’entreprendre et de mener à fin de granules conceptions militaires. Ce