Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y a peu à compter que le czar s’y prête de bonne grace ! Certes, il y aurait des raisons puissantes à faire valoir près de lui, ne fût-ce qu’en empruntant celle qui est aujourd’hui son cheval de bataille, l’idée de l’ordre et de la paix, l’intérêt de la conservation, de la sécurité des cabinets et des sociétés.. Dans la lettre que le czar adressait au sultan pour lui annoncer la fin de la guerre de Hongrie et demander l’extradition des réfugiés polonais, il parle des vœux qu’il forme en faveur de l’empire turc, de la coopération de soixante-quinze mille hommes qu’il lui a prêtée sans même être sollicité, pour étouffer un mouvement où l’on n’avait point tiré un coup de fusil. Ah ! il y aurait une bien plus grande preuve d’amitié à donner au sultan : ce serait, nous ne dirons point de j’aider, mais simplement de le laisser faire, ce serait de pratiquer sincèrement la paix, de renoncer au bénéfice de ces divisions intestines qui épuisent l’empire ottoman, de mettre un terme à cette propagande du panslavisme qui, hier encore, essayait d’exciter une ridicule insurrection en Servie. Mais en quel moment osons-nous exprimer un pareil vœu ! Au moment où la prospérité de la Russie prend un colossal essor ; au moment où la vieille Autriche, cet autre empire d’Orient, s’incline pour lui laisser le passage libre du Danube aux Balkans ; au moment où l’Europe, hébétée par ses propres souffrances, n’aperçoit de tous côtés que de sinistres visions, et semble n’avoir plus de ressort pour les résolutions énergiques. En vérité, s’arrêter en un moment si propice ce serait plus de désintéressement qu’il n’est permis au bon sens d’en attendre. Le czar cède sur une question secondaire ; il semble viser en ce point à l’estime de l’Europe ; mais cela ne nous rassure point assez sur la question principale et d’avenir. Si donc nous avons laissé échapper quelques expressions de confiance en raisonnant sur les éventualités d’un relâchement de l’alliance austro-russe, c’est sous toutes réserves, et en jetant un dernier regard sur cette inextricable complication de circonstances si fâcheuses pour l’Europe et si favorables pour la Russie.


H. DESPREZ.