Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
revue des deux mondes.

bourgade qu’on mettait au pillage. Le farouche Radziwil, dont Rulhière a tracé un portrait plus digne du mélodrame que de l’histoire, courait le pays en rançonnant les premiers venus. Un jour, il entra dans le palais de l’évêque de Vilna, son ennemi, le chassa de son siège, et lui promit de le tuer à la première occasion, se vantant d’avoir 200,000 ducats prêts pour son absolution à Rome. Un évêque plus belliqueux vint attaquer à main armée le président de la diétine de Posen, lui contesta son droit, s’y substitua lui-même, et les deux rivaux, chacun de son côté, se mirent à choisir arbitrairement des nonces dans le palatinat de Cujavie. Pendant la grand’messe, la noblesse, assiégée dans l’église par une troupe de deux cents hommes, fit une sortie, tua seize des assiégeans, et dispersa le reste. Partout, dans les deux factions, des scènes violentes se succédèrent sans relâche ; de toutes parts surgirent de doubles élections. Les Russes, échelonnés sur la frontière, regardaient et attendaient l’arme au bras. Ils n’attendirent pas long-temps. On se hâta de leur offrir un sujet d’intervention.

Par des traités antérieurs, les empereurs de Russie, protecteurs de la dynastie saxonne, avaient acquis le droit de former et de faire garder par leurs propres troupes des magasins militaires dans quelques villes limitrophes de l’empire. Les négociateurs polonais avaient ainsi fourni aux Russes un moyen officiel et public d’expliquer et de justifier tous leurs mouvemens. Aussi, lorsqu’à la fin de l’année 1763, le primat essaya des remontrances sur leur entrée en Lithuanie, la légation russe ne répondit jamais que, par ces mots : Il faut bien veiller sur les magasins. Le plus considérable était établi à Graudentz, dans la Prusse polonaise ; dans cette même ville se tenait la principale diétine qui, par une des innombrables anomalies de la constitution pouvait à elle seule nominer un nombre illimité de nonces. Il en résultait inévitablement un encombrement prodigieux, dans un étroit espace, des différens partis qui se disputaient à main armée le droit d’envoyer le plus de députés possible à la diète impériale. Avec un peu de prudence dans le parti patriotique et un peu de patriotisme dans le parti réformateur, on aurait évité ce conflit. Les Russes mirent beaucoup de soin à ne point paraître agresseurs ; le général chargé de la garde des magasins se retira ostensiblement dans les environs de la ville, pour bien marquer qu’il l’abandonnait à la liberté des élections, quand tout à coup, contre la lettre des lois, mais dans l’esprit d’un long usage, des troupes polonaises entrent précipitamment à Graudentz ; dragons, hussards, hulans, tant de la couronne que des particuliers, se jettent les uns sur les autres ; les sabres sont tirés, les fusils partent, et le général russe rentre dans la ville, toujours pour défendre les magasins.

Alors la diétine est rompue, on se disperse ; des manifestes, des