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JOURNAL D’UNE STATION


DANS


LES MERS DE L’INDE


AU MOMENT DE LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER.




I

Le 20 mars 1848, notre ancre tombait au mouillage de Saint-Denis, île Bourbon. La fin de l’hivernage approchait ; mais il nous restait à subir le décours de la lune de mars, si redoutée des habitans par la fréquence de ses ouragans. À cette époque de l’année, une préoccupation domine toute autre pensée : l’ouragan ! Comme le sombre dieu des druides, il plane dans les imaginations, et remplit les ames de vagues terreurs ; c’est le sujet de tous les entretiens. Quelques jours avant notre arrivée, l’île avait été ravagée par un de ces tourbillons ; la trace en était visible dans de longues traînées de débris : les arbres déracinés, le maïs foulé dans les champs et comme réduit en fumier, les cannes à sucre brisées et couchées par terre, semaient la surface du sol de nombreuses scènes de désolation. La verdure des forêts était flétrie ; de larges sillons jaunis marquaient au flanc des monts l’empreinte des pas de la tempête. L’île entière semblait s’envelopper d’un voile ; d’épais nuages, amoncelés en pyramides, nous en dérobaient les hautes cimes, et la brume descendait, comme un long manteau, jusque sur