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navire était surpris par l’ouragan, il fuyait au hasard ; son capitaine éperdu n’avait aucune règle qui lui indiquât la voie à suivre pour échapper au danger ; jusqu’alors la science, muette devant ces redoutables tourmentes, n’avait osé ni les interroger, ni chercher leur raison d’être, soit pour lutter avec elles corps à corps, soit pour se soustraire à leur rage. Aujourd’hui, nous croyons avoir saisi la loi des tempêtes. Pour nous, un ouragan n’est plus qu’un simple tourbillon de vent qui pivote sur lui-même et se meut rapidement, suivant une direction connue, mais variable selon l’hémisphère où l’on se trouve. Sa plus grande violence est concentrée au foyer ; là, le plus puissant vaisseau, vaincu par les élémens, sombre ou se brise, victime de leur fureur ; tout notre art consiste à nous écarter de l’axe de rotation, à nous maintenir à la circonférence, où la brise est maniable et régulière. Ces trombes, dont les flancs renferment la destruction et la mort, peuvent ainsi, sous une main habile, se transformer en un moyen de transport rapide, de même que la vapeur, dont la force d’expansion semblait n’être qu’un fléau pour l’humanité, est devenue, dans une locomotive, le coursier le plus puissant et le plus rapide des temps modernes.

L’aspect de Bourbon est sévère ; l’île s’élève au milieu de l’Océan, semblable à une borne de rocher sur la grande route du commerce de l’inde ; ses hautes terres apparaissent comme d’énormes murailles, noires, dépouillées de végétation, semées de pics, de torrens desséchés, de sombres anfractuosités. Ainsi que le simoun fait tourbillonner les sables du désert autour des pyramides, ainsi l’éternel vent d’est, qui balaie presque sans relâche la zone tropicale, accumule sur les cimes de l’île d’épais nuages dont l’ombre mouvante répand sur la croupe des montagnes une teinte mélancolique. Les vagues que ce vent soulève et entraîne à travers la vaste étendue des mers de l’inde, venant heurter le bord abrupt du rocher, s’y brisent en volutes écumeuses, se divisent, forment deux branches, embrassent l’île d’un double courant et roulent avec violence des quartiers de roche et des galets volcaniques, dont le frottement continu et les brusques chocs remplissent l’air de bruits sauvages. Tous ces bords escarpés et sans rivages n’offrent guère que le spectacle d’une sublime horreur. N’y cherchez point les scènes si suaves des ports et des rades des beaux climats : des navires à l’ancre se mirant dans une mer immobile, de nombreux caboteur courant de cap en cap, et répandant sur le tableau une vie pleine de gaieté ; des canots, aussi légers que l’écume des flots, sillonnant la surface polie des eaux et abordant en sécurité des plages bien abritées. Les marins qui, dans les ébranlemens d’une longue traversée, ont embelli l’idée du mouillage de tous les charmes du repos, éprouvent un sentiment de colère en arrivant à Bourbon ; d’éternelles ondes secouent les navires, les roulent bord sur bord, ne