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les agioteurs s’abattirent sur Bourbon on vit naître soudain des fortunes éclatantes ; le luxe suivit et pénétra partout ; bientôt l’ardeur des spéculations hasardeuses amena cette succession d’élévations rapide et de chutes soudaines qui forme le caractère actuel de la vie coloniale.

Tous les centres de population sont au bord de la mer. Autrefois les communications entre les diverses bourgades ainsi échelonnées sur le rivage étaient difficiles et rares ; les habitans ne voyageaient qu’à cheval, suivis de noirs porteurs de bagages. Il y a maintenant autour de l’île une route de ceinture bien macadamisée, qui tantôt suspend ses rampes aux flancs des rochers, et tantôt franchit des lits de torrens sur des ponts suspendus du plus bel effet. Cette route s’arrête de chaque côté de la vallée du volcan appelée le grand pays brûlé. Pour traverser cette terre désolée, il faut suivre un sentier à peine tracé à travers des rocs plutoniques, sur lesquels la lave jette parfois des arcades de matière incandescente. Chaque bourgade sert d’entrepôt aux produits de la vallée ou quartier qui l’entoure ; mais, sur cette côte si inhospitalière aux navires, nul cabotage régulier n’a pu s’établir et faire, d’un point quelconque de l’île, le dépôt général des marchandises pour l’importation et l’exportation, le vrai centre politique et commercial. De là une pénible navigation d’échelles, chaque navire allant, de mouillage en mouillage, recueillir des fractions de cargaison, au milieu de périls continuels et de fatigues presque intolérables pour les équipages, car on jette l’ancre par de grandes profondeurs, et l’on est souvent oblige d’appareiller, soit pour un raz de marée, soit à cause d’un coup de vent qui menace. Un bateau, à vapeur qui, chaque semaine, parcourrait le littoral, serait pour l’île un instrument puissant de prospérité et de bien-être ; mais où l’abriter ? C’est ainsi qu’à Bourbon toute industrie maritime meurt en germe, ou se refuse au moindre développement.

À l’intérieur, les communications n’offrent pas moins de difficultés, souvent même elles sont impraticables. Les creuses fissures du sol semblent plonger dans des abîmes où roulent et grondent les torrens ; Les rochers, brusquement soulevés par les explosions volcaniques, se dressent verticalement à des centaines de pieds de hauteur ; c’est un chaos de roches aigus, de pitons effilés, de crêtes découpées et tranchantes, d’où pendent en guirlandes des lianes gigantesques et tombent d’innombrables cascades qui tracent des filets argentés sur les parois des rochers. L’administration locale voulait ouvrir une route qui traversât l’île entière et fil communiquer entre elles directement les deux côtes, la partie du vent et la partie sous le vent. Si l’affranchissement des esclaves ne paralyse pas l’industrie un pays, ce projet se réalisera. Il n’y a de terminé qu’une route de cheval qui va des bords de la mer