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qui éveillent la surprise et charment l’imagination. C’est à la volée, c’est d’un coup de pinceau qu’il faut saisir les scènes de ces montagnes changeant à chaque pas, à chaque rayon de soleil, à chaque nuage qui passe ou s’enfuit. Là, dans un repli du terrain, vous semblez comprimé au fond d’un vaste entonnoir de rochers ; voici qu’une nuée vous enveloppe soudain : tout disparaît à vos yeux, et les mornes sombres qui vous barraient la vue, et le ravin qui ouvrait un abîme à votre gauche, et le torrent qui se précipitait à vos pieds. La pluie tombe, un souffle de brise s’élève, déchire le voile de vapeurs, les emporte du fond du vallon à la crête des monts, et l’éclaircie vous montre les flancs de la montagne tout sillonnés d’éclatantes cascades.

Le vallon de Salasie est élevé de 662 mètres au-dessus du niveau de la mer ; des eaux thermales l’ont rendu célèbre : on y a fondé un établissement de santé. Ce qu’on y trouve de plus remarquable, c’est la sécurité de l’existence. Là, pas de brises violentes, pas de coups dur glacé, — ni chaud, ni froid excessif ; point d’insectes à redouter ; point de reptiles ; aucune alarme, ni de la part des hommes, ni de la part des animaux, ni du côté du climat. Il suffit des précautions les plus vulgaires pour se défendre de l’intempérie des saisons. Les cabanons des buveurs d’eau sont suffisamment clos ; la propreté en fait surtout le charme : une eau limpide, fraîche, délicieuse, murmure près du seuil. Les bruits du monde vous arrivent à peine ; c’est dans la richesse de la nature qu’il faut chercher ses distractions. Il faut se plaire aux grondemens du torrent solitaire, aux frémissemens des mille cascades qui tombent de la cime des monts, dans les splendeurs et l’éclat du règne végétal. À vos pieds roule le torrent du Bras sec, qui se joint sous vos yeux aux chutes du torrent d’Amalle. Devant vous se dressent en parois verticales, tapissées d’une fraîche verdure, les premiers gradins des Salases, avec leurs cimes découpées, leurs dentelures qu’on découvre à travers les formes aériennes du feuillage. Le matin des beaux jours, le Pilon des Neiges, dont le sommet culmine à 3,200 pieds dans les airs, se détachent sur votre tête, pur et tranché au sein d’un ciel du plus vif azur. Les rayons de l’aube se brisent sur ses crêtes comme à travers un prisme, et s’épanouissent en auréole d’or et de pourpre sur la crèche des montagnes, où la brise descend comme une haleine fraîche et pure. Parfois aussi une calotte de brume succède au dais d’azur ; et vous enveloppe d’une lumière crépusculaire telle qu’Homère l’a répandue dans les champs élyséens. Cette atmosphère des nuées vous pénètre d’humidité ; il faut s’en garantir. Dans le bois, sur la berge à pic du Bras sec, le bruit monotone, mais captivant du torrent qui gronde invisible dans l’abîme à vos pieds, la solitude et le silence, et l’ombre profonde des arbres, et les exhalaisons de la forêt, tout concourt à endormir l’ame et à la distraire du sentiment de l’existence. Comment