Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recourir à l’assistance étrangère ; mais c’était une rude épreuve pour nous, mandataires de l’orgueil de la France et qui ne vivons que de noble fierté ! Il semblait que la France eût été détrônée tout à coup aux yeux de l’univers ! Elle qui naguère régnait par les idées, aux aspirations de laquelle tout noble cœur tressaillait et faisait écho, elle venait de souiller, dans toutes les ames, l’image sacrée de la liberté ; sous le voile un instant soulevé par le gouvernement provisoire, chacun avait vu un gouffre béant prêt à engloutir la société. À la vue de cette minorité audacieuse qui avait pu imposer au pays entier un gouvernement hors du vœu national, on se demandait si le sort de notre pays était tellement enchaîné à quelques agitateurs de la capitale, qu’on pût, en deux victoires et cinq jours de marche, venir, dans une dernière bataille sous les murs de Paris, décider des destinées de la France républicaine ! Les révolutionnaires, qui n’hésitent pas à jeter leur pays dans des convulsions à la poursuite de vaines théories, n’ont donc, sous leurs déclamations pompeuses, aucun sentiment de ce qui fait la dignité et la grandeur de la patrie !


IV

Cependant le temps marchait, et les envoyés du gouvernement provisoire, les exécuteurs du décret si brusquement lancé sur les colonies, étaient arrivés à Bourbon. Le bon esprit des habitans arrêta les énergumènes qui auraient pu agiter l’île. Aux Antilles, ainsi qu’il était advenu des déclarations insensées de 93, l’affranchissement violent des esclaves a allumé une fièvre brûlante qu’on n’éteindra peut-être que dans le sang. À Bourbon, c’est la fainéantise et la démoralisation des classes inférieures de la population qu’on a décrétées ; c’est une plaie rongeuse qu’on a inoculée à ce malheureux pays. Nous revîmes Bourbon en février 1849, deux mois seulement après la dissolution de l’ancien état social, et déjà la terre et les habitans avaient subi une altération profonde. Avant la révolution, une foule de petits propriétaires vivaient du travail de quelques esclaves : ce n’était pas la richesse, c’était une douce aisance, rendue gracieuse par la simplicité des goûts et la modération des désirs. En général, la domination du maître sur l’esclave s’exerçait avec une grande bienveillance. Le décret d’affranchissement leur a ôté brusquement toute ressource par le discrédit où sont tombés les bons de l’indemnité promise par la métropole. En 1849, ils ne vivaient déjà plus que des débris de leur ancien bien-être. Fiers encore, malgré leur accablement, ils cachaient avec soin leur détresse ; mais l’expression de la misère qui veut se dissimuler se lisait dans leurs yeux creux et ternes, dans leurs traits hâves, amincis, réduits à un amaigrissement qui faisait mal à voir. C’est cette classe intéressante de