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ses compagnons avait fait naufrage sur quelque écueil inconnu de ce dangereux archipel. Il songeait donc à appeler l’attention de tous les navigateurs que le hasard ferait passer en vue de son île. Il était parvenu, non sans peine, à réunir une quantité de bois assez considérable pour faire un grand bûcher. Un amas de feuilles sèches occupait la partie inférieure ; des lits de feuilles de cocotier alternaient avec les troncs d’arbres qu’il avait empilés les uns sur les autres ; il guettait l’occasion d’y mettre le feu et de révéler, par l’éclat d’une flamme immense et sa présence et sa détresse. Tous les soirs, ses yeux parcouraient l’horizon avec la plus vive anxiété. Ainsi les jours succédaient aux jours, et, sa solitude lui paraissait de plus en plus profonde. Son seul plaisir était de contempler les frégates qui dîmaient et taillaient les goélands, quand ceux-ci venaient par bandes chercher dans son île un asile pour la nuit. Par un secret instinct du danger, les goélands regardaient d’abord si quelque frégate ne planait pas au haut des airs. Ils portaient dans leur bec la pitance du soir, destinée sans doute à leurs petits, et qu’ils avaient choisie avec soin dans leur pêche sur le récif. Ne découvrant aucun ennemi, ils abaissaient leur vol, rasaient la surface de la mer, de manière à se confondre, pour ainsi dire avec son écume, et accouraient à la plage ; mais là l’ennemi les attendait en embuscade, fondait sur eux, et de son aile dure, immense, rapide, les frappait à coups redoublés, jusqu’à ce qu’ils eussent lâché leur proie. Le goéland, battu et dépouillé, regagnait, en poussant des cris de douleur et de détresse, son nid, où l’attendaient ses petits affamés. Là, c’était une scène de désolation, des cris confus, des lamentations, jusqu’à ce que la nuit vînt tout ensevelir dans le sommeil, ou qu’un voisin moins maltraité, jetant hors de son nid le surplus d’un souper copieux laissât tomber ainsi une consolation sur le Monde d’oiseaux, n’es-tu pas l’image de la société des hommes ?

L’inquiétude saisit le capitaine sur le sort de ses vêtemens. Comment couvrirait-il sa nudité, lorsque sa chemise partirait en lambeaux ? Il se mit à tisser une sorte de natte avec les fils d’un palmier ; l’arête d’une feuille de cocotier qu’il tailla et polit lui servit de navette : c’était un vêtement grossier, mais au moins il y trouvait un abri contre le soleil et le contact direct de l’air, Il admira son industrie, et son ame en éprouva une sorte d’exaltation. Il ménageait sa chaussure à l’aide de sandales faites d’écorce de cocotier. Enfin il se mit à explorer son île en détail. L’île de la Providence est plate, sablonneuse, et n’occupe pas en circonférence plus de deux lieues. Le tiers seulement de a superficie est couvert de cocotiers ; c’est dans la partie du vent. Les courans et les brises régnantes de l’est ont porté sur ce point des cocos qui ont germé, pris racine, et, se propageant de proche en proche, ont formé dans la succession des âges une forêt. Tout le reste n’est qu’une plaine