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à cor et à cris : on se hâta d’inscrire le nom de Cartouche au bas des têtes d’Aubert et de Le Gallois, et l’impatience du public fut satisfaite. Cartouche lui-même n’eût pas mieux imaginé.

Si nous nous rapprochons des époques contemporaines, nous trouvons un portrait gravé par Lemire, représentant Louis XVI, qui, à la restauration, fut transformé en un Louis XVIII jeune, par une simple substitution de lettres dans l’épigraphe, et réussit à merveille avec cet écriteau menteur. Louis XVIII sous les traits de Louis XVI ! friponnerie de marchand, et, en vérité, profanation historique. Peut-on, en effet, se défendre du souvenir des mots écrits, le 19 juillet 1791, sur ce prince ambitieux, pédant et dissimulé, par la reine Marie-Antoinette, que, de nos jours, on égorge en quelque sorte de nouveau pour la calomnier plus à l’aise : « Soyez sûre, — dit-elle dans une lettre inédite, tombée de la chevelure de la princesse de Lamballe au moment de sa chute à travers les cadavres de l’Abbaye, — soyez sûre qu’il y a dans ce cœur-là plus d’amour personnel que d’affection pour son frère et certainement pour moi. Sa douleur a été toute sa vie de ne pas être né le maître, et cette fureur de se mettre à la place de tout n’a fait que croître depuis nos malheurs, qui lui donnent l’occasion de se mettre en avant. »

Chose plus singulière encore ! d’un Napoléon gravé par Bertrandi, d’après Gérardot, un spéculateur subalterne, mais avisé, fit un autre Louis XVIII, rien qu’en changeant un peu la tête. Le corps resta tel quel avec sa pose impériale, et l’on fêta le chef-d’œuvre. C’est ainsi que Charles Ier d’Angleterre, décapité une seconde fois, avait été transformé en Olivier Cromwell, au moyen d’une tête ajustée sur ses royales épaules dans nombre de ses images burinées. Il y a mieux, la même opération avait été faite sur un grand portrait peint de la main de Van Dyck, et je ne sais quel peintre du temps s’était montré si hardi que d’y remplacer la tête du roi par celle du protecteur. Rappelons enfin, en passant, ce portrait de la femme du peintre David gravé par Léopold Robert dans sa jeunesse, et donné par lui à un ami qui réalisa de bons bénéfices en le débitant sous le nom de la duchesse d’Orléans-Penthièvre :

… Falsi Simoentis ad undam
Libabat cineri Andromache.


Ceci rappelle ce peintre qui, présentant au Musée, pour l’exposition de 1848, une allégorie, sorte d’apothéose du roi Louis-Philippe, s’excusait sur la date de sa peinture, et ne demandait que quelques heures pour remplacer la figure du roi par celle de Fourier ou du général Cavaignac : — juste le temps de faire une révolution.

Entrez dans l’abbaye de Saint-Denis, déshonorée par la disparition de ses flèches, et méfiez-vous des effigies que la main inhabile de l’architecte, M. Debret, a semées dans cet antique ossuaire des rois : qu’est-ce que ce prétendu buste de Marie Leczinska ? C’est une image apocryphe, introduite en fraude par l’architecte : — c’est la femme du sculpteur Jean-Guillaume Moitte, vieux buste de hasard ajusté jadis à la Louis XV par cet artiste habile, qui brillait sous la république, et qui, certes, ne se doutait guère du rôle posthume qu’on infligerait un jour à son œuvre, de famille !

Au milieu de tant de fausses attributions d’effigies, les chances d’erreurs