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sont donc nombreuses. Pourtant il n’en faudrait pas conclure que toute règle, que tout élément de certitude manquât à la critique iconologique. À côté des écueils que nous venons de signaler sont les points de repère. Au moyen-âge, les sceaux, les miniatures de manuscrits, les verrières, les sculptures et les fresques monumentales et votives ; à partir de la renaissance, les crayons : tels sont nos guides, tels sont nos fils conducteurs dans le labyrinthe des temps.


III. – LES CRAYONS.

Dès le xie siècle, les archéologues constatent l’usage de remplir les édifices religieux d’effigies sculptées sur les tombeaux ou peintes à fresque sur les murs des chapelles de famille, — espèces d’ex-voto qui s’exécutaient sur une grande échelle, et qui, avec les peintures murales hiératiques et les verrières votives ou de pure décoration, émaillaient les grands vaisseaux consacrés au culte chrétien. Cette pratique générale s’est perpétuée Jusqu’au xvie siècle. Les figures, représentées le plus souvent agenouillées et les mains jointes, ayant chacune son patron à ses côtés, étaient quelquefois de quinze à vingt pieds de haut. Si des inscriptions n’indiquaient pas le nom des effigies, les blasons qui les accompagnaient y suppléaient suffisamment. En effet, pour qui sait se donner la peine de le déchiffrer, le blason n’est pas qu’un vain jeu d’emblèmes ; c’est une sérieuse algèbre, une langue savante et féconde, un résumé de l’histoire des familles et des peuples. Il en est de cette science comme de la numismatique : si la manie stérile de certains curieux a parfois justifié le ridicule que quelques esprits légers attachent à ce genre de recherches, des intelligences élevées et graves l’ont considérée sous un point de vue autrement juste, l’utilité. Toute l’histoire de la première partie du moyen-âge est dans le blason, comme celle de la seconde partie dans les peintures symboliques des cathédrales et les effigies votives, comme, dans les médailles, l’histoire de l’antiquité.

Malheureusement les iconoclastes de 1792 ont devancé ou achevé l’œuvre des temps, et presque toutes les images funéraires et historiques ont disparu sous une chemise de badigeon. Parfois, il est vrai, le badigeon s’écaille et laisse à découvert, — ainsi que cela est arrivé il y a quatre ou cinq ans à la cathédrale de Nevers, — les décorations primitives, en quelque sorte palimpsestes. Une autre église, l’un des plus riches monumens de l’art ogival du xiie siècle, les Jacobins de Toulouse, vrai tabernacle étincelant d’or et de marbre, tapissé de fresques votives depuis le sol jusqu’au plus haut des voûtes, laisse aussi de temps à autre revivre ses antiques effigies et sa splendeur sous le badigeon qui s’écaille ; mais des iconoclastes modernes mettent bon ordre à cette résurrection, et l’administration du génie militaire dégrade et déshonore le pieux édifice : elle en a fait une écurie et un magasin à fourrage ! Cette indigne profanation, il le faut espérer, ne sera pas éternelle : le monument sera rendu au culte et à l’étude, et l’on pourra y suivre les origines de la peinture en France. Là, comme dans les autres restes de la portraiture monumentale dont la naïveté pleine de finesse rachetait l’inexpérience gothique, on verra comment, pour la reproduction des traits humains, la renaissance est reliée aux époques florissantes du pinceau et quels services elle peut rendre à la critique archéologique.