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Héritier d’un art dans l’enfance, le siècle de François Ier fut témoin d’un phénomène extraordinaire : — sans compter notre admirable sculpture du XIIIe siècle, si éminemment indigène, la sculpture et l’architecture atteignirent tout à coup, à la renaissance, une hauteur que, Michel-Ange excepté, nul maître de l’Italie n’a dépassée. Pierre Lescot, Jean Bullant, Pierre Bontemps, et, avant tous, Jean Goujon, Philibert de Lorme, Germain Pilon, génies vraiment artistes, nés d’eux-mêmes, essentiellement originaux et nationaux, formèrent une glorieuse pléiade à jamais chère au pays ; mais, par un étrange contraste, avant le Rosso et le Primatice, appelés par François Ier pour diriger les peintures de ses maisons royales, la France, on l’a vu, ne pratiquait la grande peinture qu’en informes effigies murales, en verrières et en cartons à tapisseries. L’industrie où excellaient se peintres se renfermait modestement dans le cadre étroit des vignettes de livres, et l’exquise et studieuse patience des maîtres imagiers ou miniaturistes de missels ne trouvait guère à le disputer qu’à la naïveté gothique de peintres d’ex-voto ou de rares peintres de portraits à l’huile. Le portrait en miniature abondait dans les livres ; mais, à vrai dire, il n’était qu’une branche de la décoration des manuscrits il n’usait que du vélin ; l’emploi de l’ivoire, consacré par les modernes, lui était inconnu. Tout l’art français était là, quant à la peinture.

Chose remarquable ! tandis que l’Italie enfante sans les compter ses admirables écoles, la France, timide et inféconde, n’en offre qu’un reflet à demi éteint. Rien ne naît de soi-même, tout est le produit de la réminiscence et de l’imitation. Le successeur du Primatice, Toussaint du Breuil, un Français, se montre plus Florentin que le Rosso lui-même. Aussi l’histoire de nos peintres va-t-elle se confondre et se perdre dans celle des peintres italiens, et l’art français alors ressemble, pour ainsi parler, à cet arbre du poète qui s’étonne de porter un feuillage étranger et des fruits qui ne sont pas les siens. Ce n’est qu’au moyen-âge, au XIIIe siècle, qu’on est en pleine France et qu’on goûte sans mélange la pure saveur de l’art national.

Le goût de François Ier pour la peinture n’avait pas été contagieux à sa cour, le portrait était la seule chose qu’on fit peindre, si l’on faisait peindre quelque chose. Qui se serait avisé alors d’acheter des tableaux et de fonder une galerie[1] ? Clouet dit Janet, mélange d’Holbein et de Léonard ; Du Monstier, plus

  1. Pour trouver la première galerie depuis celle que François Ier avait créée dans le palais de Fontainebleau, il faut descendre jusqu’à Marie de Médicis qui avait apporté de Florence le goût des arts. On parle aussi du cabinet de Sully. Louis XIII aima les arts et les pratiqua à ses heures. Monsieur, son frère, duc d’Orléans, le plus maladroit de tous les conspirateurs, fut le plus zélé collecteur de livres, de manuscrits et tableaux. Le cardinal de Richelieu fit de son château un vrai musée d’antiques et peintures dont La Fontaine a écrit à sa femme de piquantes descriptions, et dont un nommé Vignier a aussi donné en madrigaux le catalogue, en 1681. Alors, mais seulement alors, l’élan était imprimé, et de tous côtés se formèrent des galeries. En 1634 le premier maréchal de Créquy, au retour de ses ambassades de Rome et de Venise, rapporta à Paris des tableaux originaux, des copies de maîtres, quelques dessins de Raphaël et des plâtres moulés sur l’antique, que l’on visita comme une des curiosités de la capitale. M. de Noyers, et le patron du grand Poussin, M. de Chantelou, se distinguèrent avec l’abbé de Marolles par le goût délicat de leurs richesses. Stella prouva par le choix Des siennes qu’il était peintre. Le cul-de-jatte Scarron, qui avait vu l’Italie, eut de bonnes toiles. Mazarin accumula les tableaux en roi, De Piles en connaisseur ; le père de La Chaise, le comte de Béthune, M. de Charmois, le duc de Chabot, le duc de Vendôme, son frère Ie Grand Prieur, le marquis de Seignelay, Mme  de Verue, le duc de Saint-Simon, les recueillirent en amateurs ardens et de bon goût.