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révocation de l’édit de Nantes mais elle ne l’empêcha point, mais la petite fille d’Agrippa d’Aubigné n’en adoucit point les conséquences homicides pour ses anciens coreligionnaires[1]. Louis, au-dessous de son siècle dans ce suicide insensé, prouva que, s’il avait pu être un grand roi, il n’était point un grand homme.

Il y a une lettre de Mme  de Maintenon qui m’a toujours frappé, comme Lémontey : c’est celle que cette béate demi-reine écrivait le 9 septembre 1698 au cardinal de Noailles, et où elle prononce ce mot précieux, tout plein d’un parfum de casuiste en jupon : « Je ne puis m’empêcher de me dire : Que deviendra le roi si je meurs avant le père de la Chaise ? » Est-ce là un mot d’une naïveté sincère ? Dieu seul a le secret des coeurs. D’une part, Mme  de Maintenon était une femme trop souterraine, trop sûre d’elle-même, trop calculée et artificieuse pour être crue sur parole ; elle avait, d’un autre côté, trop de sérieux dans l’esprit pour qu’il soit permis de décider sur elle à la légère et sur de simples inductions. Une conduite d’Honesta toujours désespérément posée, toujours exemplaire ; jamais le moindre mouvement entraîné, jamais un petit coin attendri, comme disait la bonne et sensible Madeleine de Scudéry, de pareilles perfections sont peu sympathiques ; on les honore, on les respecte, on ne les aime point. Pourquoi ? Parce qu’elles sont la vertu sans le cœur ; parce qu’à tort ou à raison, on craint, en fin de compte, de n’y trouver qu’une Lucrèce par honneur plus encore que par vertu.

Telle nous apparaît Mme  de Maintenon dans ses portraits officiels, tristes et grondeurs. Aussi était-ce une pensée charmante, presque maligne, et qui devait venir à un esprit délicat tel que M. le duc de Noailles, de battre en brèche l’opinion rien que par une sorte d’antithèse, rien qu’en rajeunissant son héroïne : « Heureux, dit-il avec raison, ceux dont l’image arrive à la postérité sous l’emblème de la grace et de la beauté ; la postérité en est plus indulgente. » Visage plein de grace, aimable sourire, pose un peu coquette pour faire valoir de belles épaules ; ajustement simple avec élégance, simplex munditiis ; les perles et la dentelle, tout est là. Loin donc, loin ces tristes coiffes et cette éternelle robe feuille-morte qui effarouchaient les jeunes essaims de la maison de Saint Cyr. Oui, mais ce nez au vent, qui ne va ni à cet esprit ni à ce caractère, qu’en ferons-nous au moment où volontiers nous allions bannir tout-à-fait l’autre image de notre souvenir ? Ce nez-là cadre mieux aux mauvais desseins que le duc de Saint-Simon nous a révélés contre Mme  de Maintenon dans ce style âcre, ardent et incorrect que vous savez. Sans ajouter foi à tout ce qu’une malignité envieuse débita sur les intrigues de sa jeunesse, on ne peut oublier qu’elle fut la femme d’un poète graveleux, qui, disait-il lui-même, devait lui faire peu de sottises, mais s’était promis de lui en apprendre beaucoup ; on peut tenir pour constant qu’elle vécut dans la société des plus aimables libertins de

  1. M. Paulin Paris possède un curieux portrait de Schenck à Amsterdam, avec cet exergue tiré des Amours d’Ovide (II, 10) :
    Viro mulier spoliis exultat ademptis.
    C’est l’œuvre de quelqu’un de ces malheureux réfugiés que le ressentiment rendait injustes envers Louis XIV et tout ce qui touchait à sa personne.