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sujet d’étude pour la masse du public français qu’à une époque toute récente, — depuis quarante ans, — au contraire, le public anglais a les yeux fixés, au-delà de l’Atlantique, sur ce peuple sorti du sein de l’Angleterre, et qui devient pour elle un rival chaque jour plus redoutable. Il n’est pas un Anglais capable de tenir une plume, qui, en revenant des États-Unis, n’ait confié au papier ses impressions. Chaque année voit paraître de nouveaux récits, et la curiosité européenne ne se lasse jamais de les lire, si mauvais qu’ils puissent être, preuve manifeste qu’elle n’a point trouvé encore à se satisfaire.

Cette multitude de livres sur l’Amérique cache mal, en effet, une indigence réelle. En France et plus encore en Angleterre, la société américaine a été, pour les hommes de parti et les écrivains, ce que la vieille rhétorique appelait un lieu commun, c’est-à-dire une mine inépuisable d’allusions et de raisonnemens sur tous les sujets. Beaucoup d’hommes distingués sont allés aux États-Unis moins pour se rendre compte de ce qu’ils y verraient que pour chercher des argumens à l’appui des thèses favorites de leur parti. En rapportant d’Amérique l’éloge du suffrage universel, des élections fréquentes, de l’instruction gratuite et des budgets économiques, on était certain d’être comblé de louanges par l’Edinburgh Review ou le Westminster. Les écrivains tories cherchaient, à leur tour au-delà des mers, de quoi confondre le radicalisme, et le Quarterly Review, saluant avec enthousiasme l’ouvrage incisif et cruel dans lequel mistriss Trollope flagellait impitoyablement les ridicules et les tyrannies de la démocratie américaine, s’écriait avec une sorte d’ivresse : « Voici enfin le livre depuis si longtemps attendu ! »

Les préoccupations politiques ou les préjugés nationaux ne sont pas les seules causes qui ont déterminé la diversité des jugemens portés sur les États-Unis. Il est toujours essentiel de savoir avec quelle portion de la société américaine chaque voyageur a été en rapport, et de tenir compte des circonstances dans lesquelles il était placé. En 1841, sir Charles Lyell fut invité à se rendre aux États-Unis pour faire à l’institut de Lowell, à Boston, une série de leçons sur la géologie, science fort goûtée des Américains. Le géologue anglais eut le plus grand succès, il fut recherché et comblé d’attentions par les hommes distingués du pays. À son retour, il publia un récit de son voyage, tout favorable aux Américains, et dans lequel il louait avec effusion ce qui est vraiment admirable aux États-Unis, l’organisation de l’instruction publique et le développement de la vie religieuse. Ce livre valut à l’auteur une éclatante popularité en Amérique. Aussi, à son second voyage en 1846, sir Charles Lyell a été accueilli comme un véritable ami. Savans, médecins, théologiens, légistes, hommes politiques, grands propriétaires, se sont faits à l’envi les hôtes et les guides empressés de l’écrivain