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anglais, afin de le confirmer dans la bonne opinion qu’il avait du pays. Partout il lui a suffi de se nommer pour qu’on lui apportât tous les renseignemens qu’il souhaitait, et pour qu’on mît à sa disposition tous les moyens de continuer ses recherches. Il n’est sorte de prévenances dont il n’ait été l’objet. Quel voyageur ne serait reconnaissant d’un tel accueil ? Sir Charles Lyell, malgré toute la sagacité et toute l’indépendance de son esprit, n’a pu se défendre d’une sorte de fascination, et il juge volontiers de l’ensemble de la nation américaine par les hommes distingués dont il a été sans cesse entouré.

Il n’est pas d’ailleurs, toujours facile de savoir la vérité aux États-Unis. Si l’on ne veut être à la fois l’objet de toutes les attentions et de toutes les méfiances, il faut se défendre de tout projet d’écrire. Si l’on ne veut voir toutes les portes se fermer, tous les renseignemens vous être refusés, si l’on ne veut être frappé d’une sorte d’ostracisme, il faut ne hasarder aucune critique et ne jamais laisser percer une opinion défavorable. Il faut craindre, à la fois les piéges et les rancunes de la susceptibilité américaine. Les peuples de la vieille Europe ont chacun leur amour-propre national, mais c’est le plus inoffensif des sentimens : chacun d’eux supporte à merveille d’être, pour le voisin, un sujet inépuisable de parodies et de caricatures ; les quolibets du Punch et du Charivari n’ont jamais influé sur l’entente cordiale. Aux États-Unis, au contraire, l’amour-propre national est le plus farouche et le plus implacable des sentimens. Le peuple américain se sait le plus jeune dans la famille des peuples civilisés ; il se figure, bien à tort, qu’il n’a point fait suffisamment ses preuves, et que la vieille Europe ne tient pas de lui le compte qu’elle doit tenir : il est prêt à faire les plus grands sacrifices pour être assuré qu’on ne le rabaissera pas injustement et qu’on ne dépréciera pas le rôle qu’il joue dans le monde, « Puisse l’Orégon nous amener une guerre avec l’Angleterre ! disait un officier de marine à sir Charles Lyell. Elle nous coûtera bien cher ; mais l’Angleterre apprendra que nous sommes une puissance du premier ordre, et non pas du second. » Des gens du peuple disaient au même voyageur : « Il nous faut une brossée avec l’Angleterre ; autrement elle ne nous respectera pas. Il y a quelque chose de puéril à voir une grande nation sans cesse sur les épines, comme un homme qui appréhende un affront. Six lignes du Times suffisent à mettre en émoi les vingt-neuf états de l’Union américaine ; lorsque s’agitait, il y a quelques années, la question de l’Orégon, s’il arrivait au Times ou au Chronicle de laisser échapper, à l’adresse de l’Amérique, quelques phrases empreintes de cette âpreté et de cette amertume familière à la presse anglaise, on voyait aussitôt tous les journaux de l’Union enregistrer en grosses lettres ce nouvel outrage et en faire, pendant plusieurs jours, le texte des plus effroyables déclamations.