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car ils se chargent volontiers des plus rudes travaux, et un entrepreneur de constructions de New-York disait à sir Charles Lyell que, sans les Irlandais que l’émigration amène chaque année dans le pays, il deviendrait impossible de bâtir autre chose que des maisons en bois, à cause du prix excessif de la main-d’œuvre.

Si les émigrans irlandais se concentrent dans quatre ou cinq villes, et ne se dispersent qu’avec lenteur sur le territoire américain, il n’en est pas de même de l’émigration allemande. Celle-ci, qui est tout agricole, a pour principal port d’arrivée Philadelphie ; ceux des émigrans qui n’ont point assez de capital pour s’établir dans la Pensylvanie ou le Maryland se dirigent immédiatement vers l’ouest ; ils forment une partie notable de la population de l’Ohio et de l’Indiana ; les plus pauvres vont jusque dans l’Illinois, où la terre est encore à plus bas prix. Il est très rare qu’ils remontent vers le nord, dans le Michigan ou l’Iowa, et à peu près sans exemple qu’ils descendent dans le Kentucky. Ces émigrans ont presque tous un petit capital qui leur permet d’acquérir des terres déjà défrichées, sans se faire eux-mêmes pionniers ; sous le rapport des connaissances agronomiques, ils sont au niveau et même plutôt au-dessus des fermiers américains. Ils ne doivent pas non plus le céder aux Américains sous le rapport de l’instruction primaire, si nous en jugeons par le nombre des journaux et des livres allemands qui s’impriment aux États-Unis. On n’imprime pas pour une société qui ne sait pas lire.

L’émigration irlandaise est donc la seule qui puisse avoir une influence réellement fâcheuse sur la moralité et la civilisation du peuple américain ; mais cette influence ne peut agir que dans un cercle très restreint et ne s’étend pas au-delà du voisinage de quelques villes. L’émigration allemande, sous le rapport de la moralité et des lumières, aurait une action plutôt favorable que funeste ; mais il est possible de déterminer avec précision le cercle dans lequel cette action s’exerce, et dont elle ne dépasse pas les limites. Ce dernier point suffit à notre thèse. Il est impossible d’attribuer à une cause accidentelle un effet général ; il est donc impossible d’expliquer par l’influence de l’immigration européenne l’inégalité de sécurité, de moralité et de lumières qui sépare les jeunes états des états plus anciens, inégalité qui se retrouve au sud comme au nord, et dont les degrés peuvent presque se mesurer par les degrés de longitude Nous voudrions proposer à notre tour une explication, et rechercher quelles sont les causes qui produisent et qui corrigent l’inégalité dont nous avons constaté l’existence.


III

L’étude attentive des faits vaudra, mieux ici que tous les raisonnemens. Un auteur américain, M. Colton, met au nombre des avantages