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mutuel appliqué de peuple à peuple. Les habitans des vieux états n’apportent pas seulement dans l’ouest le capital et l’habileté professionnelle, ils y apportent aussi une instruction plus étendue, des habitudes plus polies, ces idées plus saines et plus élevées sur les obligations sociales, sur la justice, sur la moralité, qui sont le fruit ordinaire d’une éducation libérale. C’est ce contact journalier d’une civilisation supérieure qui élève et rectifie les mœurs des anciens pionniers, et la fusion de ces deux élémens de valeur inégale produit une nation meilleure que la première et plus apte encore à tout perfectionnement. Le progrès, d’ailleurs, est continu, parce que les états qui alimentent l’émigration sont loin de demeurer stationnaires : l’instruction s’y développe de jour en jour ; elle ne devient pas seulement plus générale, mais plus complète. Ainsi, chaque émigration prise en masse vaut mieux que l’émigration partie dix ou quinze ans auparavant, et, quand elle se disperse dans les états où celle-ci s’est déjà mêlée aux pionniers, son arrivée équivaut à l’introduction d’un élément supérieur : c’est comme l’infusion d’une sève nouvelle de civilisation.

Toute amélioration matérielle ou morale qui se produit dans la population des anciens états a d’abord son contre-coup dans la population des états intermédiaires, et avant la fin de la seconde génération se retrouve dans la population des états les plus éloignés. Sous l’influence de ces émigrations successives et chaque fois meilleures, on voit les jeunes états, d’abord uniquement occupés de leur développement matériel, consacrer ensuite leur attention et leurs sacrifices à des soins de l’ordre purement moral, rectifier leurs lois dans le sens de la justice plutôt que dans celui de la licence ; on voit aussi l’opinion des masses se modifier. Ainsi le jeune géant de l’ouest, comme on appelle l’Ohio, incline davantage, à mesure qu’il grandit, vers les idées conservatrices, et donne assez habituellement la majorité aux whigs, tandis que les états sortis de son sein, et qui représentent le degré de civilisation auquel lui-même était arrivé il y a vingt ans, sont au nombre des états les plus démocratiques.

Les états riverains de l’Océan sont, donc autant de foyers auxquels les états intérieurs ont emprunté la vie, et empruntent aujourd’hui la lumière. La Nouvelle-Angleterre particulièrement est le point de départ d’une émigration continuelle, qui se répand sur tout le territoire américain, et qui exerce partout où elle se porte une salutaire influence. C’est cette émigration qui a donné naissance à la plupart des états libres. M. Bancroft évalue à quatre millions et demi le nombre des Américains qui tirent leur origine des deux cents familles arrivées il y a deux siècles dans la baie de Massachusetts. Ces fils des puritains constituent assurément la partie la plus énergique et la plus saine de la population des États-Unis : ils portent partout avec eux les qualités et les défauts de leur race, et nul, à les voir, ne peut se méprendre