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consacrer leur temps à des travaux intellectuels. On pouvait dire d’avance que là naîtrait la littérature américaine, et c’est là qu’elle est née. La Nouvelle-Angleterre a commencé par produire deux ou trois revues estimables ; elle possède quatre ou cinq journaux qui, sans approcher des journaux importans de l’Europe, révèlent de l’instruction et du talent, et sont les seuls lisibles au milieu des milliers de feuilles qui se publient aux États-Unis, et qui ne valent pas le papier sur lequel on les imprime ; enfin elle peut citer plusieurs noms qui sont honorablement connus en Europe : un métaphysicien d’une incontestable valeur, Ralph Emerson[1] ; deux théologiens de mérite, Norton et Channing, dont le dernier fut aussi un prédicateur éloquent ; M. Prescott, écrivain élégant et pur, qui raconte l’histoire de la manière la plus attachante ; M. Bancroft, historien plein de sagacité, d’érudition et de critique, et auquel il ne manque que le style de M. Prescott ; M. Everett, tour à tour légiste, prédicateur, diplomate, aujourd’hui professeur, toujours homme d’esprit, critique plein de finesse ; poète facile et ingénieux. Nous n’avons besoin de rappeler à personne les noms de Cooper et de Washington Irving.

La population de la Nouvelle-Angleterre, sauf quelques particularités, a les mœurs et toutes les habitudes de la population anglaise. On retrouve à Boston le genre de vie et les usages des grandes villes de province d’Angleterre et jusqu’aux amusemens anglais. Un journal fashionable d’Angleterre se plaignait tout récemment avec amertume de ce que la passion des chevaux paraissait s’affaiblir dans la Grande-Bretagne, et de ce qu’on laissait acheter par les amateurs des États-Unis quelques-unes des célébrités d’Epsom et Newmarket et tous leurs meilleurs produits. Il publiait une longue liste de chevaux ainsi achetés pour le compte de particuliers de la Nouvelle-Angleterre, qui ne reculaient ni devant un prix excessif, ni devant les chances fâcheuses de la traversée. Un autre passe-temps, imité de l’Angleterre, est celui des bains de mer et des eaux. La plage de Newport et les eaux de Saratoga se partagent, tous les étés, les familles opulentes des États-Unis. La rareté, pour ne pas dire l’absence de tout divertissement le long de l’année fait des mois d’été une époque bénie : on échappe pendant quelques semaines ou quelques mois à la contrainte de la ville natale, à la surveillance jalouse des voisins ; on peut faire usage de sa richesse, on peut chercher et trouver le plaisir sans encourir la censure d’autrui. Un séjour à Newport ou à Saratoga est aussi le moyen de pénétrer dans le monde opulent des États-Unis, d’acquérir quelque notoriété et de faire figurer son nom dans les journaux. Les feuilles un peu répandues des États-Unis envoient dans ces deux villes un rédacteur chargé

  1. Voyez, sur Emerson, la livraison de la Revue du 1er août 1843.