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de leur transmettre, chaque jour, la liste des arrivées et des départs, de raconter les moindres incidens, de décrire les concerts et les bals, et de signaler, pour être dûment enregistrés, tous les mariages conclus et en préparation. Bien des mères, en effet, vont passer une saison dans ces villes de plaisance uniquement pour pourvoir leurs filles, et quand les écrivains américains, au lieu de travestir les mœurs européennes, qu’ils n’ont pas vues, puiseront leurs sujets dans les mœurs de leur pays, les sources de Saratoga et les bains de Newport tiendront dans leurs ouvrages la même place que Bath, Cheltenham ou Brighton dans les romans anglais. Il ne faut pas croire, du reste, que ce soient deux séjours bien gais ; dans l’un comme dans l’autre, de la saison se passe à organiser la fête qui doit la terminer, et qui est invariablement un bal travesti. On élit un comité d’organisation générale, un comité pour l’orchestre, un comité pour les contredanses, un comité pour les décors, un comité pour les rafraîchissemens. Le prix de chaque billet n’est jamais moindre de 50 à 60 francs, et l’on fait pour les costumes les plus folles dépenses. Les journaux américains ne manquent pas, en effet, de consacrer cinq ou six colonnes à enregistrer le nom de chacun des assistans avec la description détaillée de son costume, souvent rédigée par la personne intéressée. Nous sera-t-il permis de dire qu’ayant eu plusieurs années de suite la curiosité de parcourir ces descriptions, nous avons été étonné de voir le choix des dames américaines se porter avec une référence fort marquée sur les costumes des déesses de la mythologie et surtout des duchesses, marquises et comtesses de l’ancien régime ?

Ce qui manque aux classes aisées de la population de la Nouvelle-Angleterre pour ressembler tout-à-fait aux classes correspondantes de la société anglaise, c’est cette indépendance d’esprit, cette liberté d’allure, cette élégance de formes et de manières, qui sont produites à Londres par le contact des grandes existences de l’aristocratie anglaise. Il n’y a point une catégorie particulière de gens qui donne le ton au reste de la population, qui soit pour autrui un sujet d’imitation, un enseignement vivant, et serve à perpétuer cet ensemble de traditions et de conventions tacites qu’on appelle l’usage du monde. Ce n’est pas que la richesse manque dans la Nouvelle-Angleterre, c’est qu’il est défendu de s’en servir. Dans le Massachusetts, à Boston surtout, il y a beaucoup de fortunes très considérables et qui datent de plusieurs générations ; les millionnaires ne sont pas rares à New-York, mais partout la richesse est frappée d’ostracisme. Avoir une maison aux environs de la promenade appelée Commons Gardens, voilà l’ambition d’un millionnaire à Boston : aussi y a-t-il là quelques rues où le terrain se vend aussi cher que dans la Cité de Londres ou sur les boulevards parisiens ; mais si ce millionnaire veut conserver ses droits de citoyen, s’il ne veut pas être décrié par ses voisins, s’il aspire à être