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pas un père ou un maître attentif qui ne sache parfaitement à quoi s’en tenir sur les prédispositions naturelles d’un enfant, pas un enfant même qui n’ait déjà le secret de sa vocation et de son goût. Ce qu’on ignore à huit ans, avant de s’être essayé à l’étude, on le sait à treize ou quatorze, après en avoir essuyé les premières difficultés. Prenez, par exemple, au hasard, dans une des classes de nos collèges, en troisième ou en quatrième, un de ces élèves, dont nous avons tracé le fidèle portrait, qui occupent régulièrement les dernières places, et à qui on fait expliquer Virgile sans qu’il sache conjuguer un verbe, croyez-vous que trois ou quatre ans ne lui aient pas suffi pour savoir que les études classiques ne sont nullement ce qui convient à son esprit, et qu’à mesure qu’on va l’élever dans des régions où il se promène un brouillard sous les yeux, cette conviction ne grandira pas tous les jours en lui ? De deux choses l’une : ou cet enfant a tout simplement reçu du ciel des facultés bornées qui lui interdisent tout espoir de réputation et toute profondeur de savoir, ou il est une de ces natures peu spéculatives, à qui l’étude n’a rien à révéler, et dont l’action seule peut développer l’énergie secrète. Dans l’un et l’autre cas, l’épreuve est faite ; il faut l’enlever au plus tôt à des travaux où ses facultés se rouillent en quelque sorte dans l’inertie, et le précipiter sans délai, soit dans ces métiers plus lucratifs qui, faute de mieux, pourront l’honorer en l’enrichissant, soit dans ces carrières actives qui sauront trouver et tendre les ressorts cachés de sa nature.

Nous voudrions donc qu’à cet âge de treize ou quatorze ans environ, à la sortie de ce qu’on appelle encore par habitude les classes de grammaire, une distinction stricte fût établie entre ceux qui doivent poursuivre et ceux qui doivent abandonner l’éducation littéraire. Cette distinction, un examen seul, un examen solennel et sévère, peut la faire avec autorité. Un tel examen pourrait être, nous le pensons, beaucoup plus sérieux que n’est aujourd’hui l’examen qui précède le baccalauréat ès-lettres, précisément parce qu’il est moins étendu. Embrassant beaucoup moins de matières, il pourrait les approfondir. S’il est impossible d’interroger aujourd’hui un candidat au baccalauréat sur toutes les dates de l’histoire du genre humain, il n’y aurrait qu’à ouvrir au hasard les grammaires grecque ou latine, ou quelque précis chronologique d’une ou deux parties d’histoire pour avoir un avis sur la valeur des concurrens à l’examen nouveau que nous voudrions voir établir. Une composition écrite rendrait l’épreuve encore plus certaine. Enfin l’examen serait sérieux, nous l’espérons ; pourquoi ? parce qu’il s’agirait, non point comme aujourd’hui, d’une sentence de mort à porter contre un jeune homme, d’une destinée à briser, du fruit de sept ou huit années perdues à jeter au vent, mais d’un avertissement opportun à donner à un enfant avant qu’il se soit engage mal à