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paroles, des mouvemens… Vous m’avez tant montré vos défauts et vos vertus, — vos beautés plutôt, vertu est un mot trop sévère, — que je vous aime, je vous aime de toute ma vie et de toute ma force.

« Elle voulut parler, mais ne put trouver un mot ; elle s’efforça de se remettre, mais en vain. Je lui répétais passionnément que je l’aimais.

« — Eh bien ! monsieur Moore, qu’est-ce ? fut sa seule réponse, prononcée d’un ton qui aurait été pétulant, si la voix ne lui eût manqué.

« — N’avez-vous rien à me dire ? N’avez-vous pas d’amour pour moi ?

« — Un petit peu.

« — Ne me torturez pas ; ceci n’est plus un jeu.

« — Je ne veux pas jouer ; je veux sortir.

« — Sortir ! Vous parlez de sortir en ce moment. Quoi ! emportant mon cœur dans la main que vous poseriez sur votre toilette et piqueriez de vos épingles ! Vous ne vous éloignerez pas de moi, vous n’échapperez pas à mon atteinte jusqu’à ce que je reçoive un ôtage, — promesse pour promesse, — votre cœur pour le mien !

« — Ce que vous me demandez est égaré, perdu depuis quelque temps. Laissez-moi l’aller chercher.

« — Dites qu’il est où sont souvent vos clés, dans ma possession.

« — Vous devez le savoir. Et où sont mes clés, monsieur Moore ? En effet, vraiment, je les ai perdues encore. Mistriss Gill me demande de l’argent, et je n’en ai point, excepté ces six pence.

« Elle tira la monnaie de la poche de son tablier et la montra dans sa main ouverte. J’aurais pu jouer avec elle ; mais non, c’était ma vie et ma mort qui étaient en jeu. M’emparant de sa main et des six pence qu’elle tenait, je lui demandai :

« — Dois-je mourir sans vous ou vivre pour vous ?

« — Comme il vous plaira. Loin de moi de dicter votre choix.

« — Vous me direz de vos lèvres si vous me condamnez à l’exil, ou si vous m’invitez à l’espérance.

« — Allez. Je puis supporter d’être laissée.

« — Peut-être, moi aussi, je pourrai supporter de vous laisser ; mais répondez, Shirley, mon élève, ma souveraine, répondez !

« — Mourez sans moi si vous voulez ; vivez pour moi si vous l’osez.

« — Je n’ai--point peur de vous, petite tigresse. J’oserai vivre pour vous et avec vous, depuis cette heure jusqu’à la mort. Maintenant donc, je vous possède ; vous êtes à moi, je ne vous laisserai jamais aller. Qu’importe où sera ma demeure ? j’ai choisi femme. Si je reste en Angleterre, en Angleterre elle restera ; si je traverse l’Atlantique, elle le traversera aussi : nos vies sont enchaînées, nos sorts entrelacés.

« — Et sommes-nous égaux, monsieur, sommes-nous égaux enfin ?

« — Vous êtes plus jeune, plus frêle, plus faible, plus ignorante que moi.

« — Serez-vous bon pour moi et ne me tyranniserez-vous jamais ?

« — Me laisserez-vous respirer ? Cesserez-vous de me tenir sous le charme ? Ne riez pas. Le monde danse et change autour de moi. Le soleil flamboie comme un feu rouge. Le ciel est un abîme violet qui tourbillonne sur ma tête.

« Je suis un homme fort, mais je chancelais comme je parlais. Toute la création