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pièce ne donne prise à ces applications contemporaines que le moment eût rendues piquantes, et qui eussent pu suffire à la vogue de quelques soirées. Rien surtout ne justifie ce titre, qui nous promet un drame tout autre que celui auquel nous avons assisté. En effet, pour qu’on pût l’intituler le Testament de César, il eût fallu que la succession du grand homme fût le véritable sujet, que sa mort occupât tout au plus le prologue ou les premiers actes, et que l’intérêt principal se fixât sur les luttes sanglantes, écloses de ce sanglant cercueil, sur le tableau de ce colossal héritage, disputé par trois hommes, représentant trois idées différentes : Brutus, c’est-à-dire la république, le culte d’une forme vieillie, voilant une chimère sublime ; Antoine, c’est-à-dire l’action brutale, la bravoure soldatesque, coupant avec l’épée le nœud gordien des révolutions ; Octave, c’est-à-dire l’égoïsme adroit et réfléchi, profitant des fautes des autres, et recueillant seul la moisson que les autres, ont semée. Certes, il y avait là un sujet bien vaste, bien digne de l’attention des penseurs, et auquel mille circonstances accessoires eussent donné, une sorte d’actualité ; mais, de bonne foi, est-ce là ce qu’on trouve dans le nouveau drame du Théâtre-Français ? Suffit-il, pour qu’il ait le droit de s’appeler le Testament de César, que ce testament soit dérobé, brûlé, échangé, repris dans le tiroir d’une armoire, et au milieu des péripéties d’une scène de vaudeville ? Non ; ce n’est là qu’un épisode, ce n’est pas le sujet de la tragédie nouvelle ; ce sujet, c’est tout simplement la Mort de César, la tragédie de Voltaire, celle que rêvait autrefois tout rhétoricien bien appris. Si nous signalons cette distinction, frivole en apparence, c’est que nous y retrouvons des symptômes caractéristiques de notre temps : une manie d’attacher à l’extérieur, à l’annonce, au paraître, une importance qu’il serait plus utile de placer dans l’œuvre même ; une envie permanente de duper le public, de l’attirer en lui promettant autre chose que ce qu’on lui donne. Jules César ! la Mort de César ! Fi donc ! c’était bon pour Shakspeare et Voltaire : qu’y a-t-il là qui puisse piquer la curiosité ? Mais le Testament de César ! c’est plus neuf ; cela fait travailler l’esprit du spectateur ; il discute d’avance avec lui-même la valeur et la portée de ces trois mots, et, en les discutant, il y vient. C’est tout ce qu’il faut ; de nos jours, on n’en demande pas davantage.

C’est dans ce même sens de prétention stérile et de programme trompeur, que nous demanderons ce que signifie l’épilogue, qui ne sert qu’à exagérer encore des dimensions déjà excessives. Brutus, vaincu à Philippes, préludant à sa mort par quelques alexandrins, et mettant en vers le mot célèbre : « Vertu, tu n’es qu’un nom ! » fournit-il un dénoûment nouveau ? Est-ce une nouvelle face du drame ? est-ce une lueur jetée sur les événemens qui suivirent ? est-ce une leçon donnée aux républicains de la veille ? Nous avouons ne pouvoir déterminer l’utilité de cet épilogue. La tragédie finissait mieux par la mort de César et la harangue d’Antoine, où l’auteur avait eu au moins le mérite de traduire Shakspeare avec fidélité, parfois même avec bonheur.

Revenons donc à Shakspeare et à Jules César, puisque c’est là, en effet, toute la pièce nouvelle, et que le plus grand éloge qu’on pusse en faire est de dire qu’on y retrouve un reflet lointain de ce sublime modèle. C’est ici le lieu de signaler le défaut principal du Testament de César, ou plutôt des œuvres conçues et écrites dans le même système. Ces œuvres ne sont d’aucun temps ni