Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de porter le premier dégrèvement d’impôt au compte de la propriété foncière. C’était l’époque où les théoriciens de l’économie politique ne se bornaient plus à soutenir que l’impôt indirect se percevait facilement, insensiblement et sans souffrance, mais où ils allaient jusqu’à prétendre que les taxes de consommation, dans une certaine mesure, agissaient comme un stimulant sur le travail et sur l’industrie[1].

Depuis quelques années, une réaction tout aussi exagérée s’opère dans les esprits en faveur des taxes directes. La sympathie qu’inspire à bon droit le sort des classes laborieuses concourt à fausser les idées en matière d’impôt. En partant du principe qui veut que chacun contribue aux charges de l’état dans la proportion de ses ressources, on condamne les taxes de consommation dont le produit se mesure nécessairement à l’étendue de la consommation, et non à l’importance des fortunes. On prétend qu’elles aggravent dans tous les cas la condition de l’ouvrier, qu’elles gênent souvent l’industrie et font obstacle au commerce. On se prévaut, en outre, de ce qu’une partie notable du produit est absorbée par les frais de perception, ces frais descendant même à 3 pour 100 dans quelques taxes directes, et s’élevant dans certaines taxes indirectes jusqu’à 15 pour 100.

L’une et l’autre opinion ne sont pas puisées dans le fond des choses. Tout impôt a des défauts qui se révèlent à l’application, ou qui sont inhérens au principe même de la taxe. Il n’y a que les dons volontaires qui en soient exempts ; et qui conseillerait aux gouvernemens de compter, dans leurs nécessités, sur le seul effort des libéralités individuelles ? L’impôt direct ne ruine pas l’état, cela est vrai, en frais de perception, et il semble plus conforme à l’égalité proportionnelle ; mais en revanche il vient frapper le contribuable à toute heure, que celui-ci ait ou non réalisé ses revenus, et il apporte presque toujours avec lui de la gêne ainsi que du découragement ; il met l’état en présence des personnes, et de là les procès, les exécutions, les conflits qui accompagnent quelquefois le recouvrement de cette taxe. L’impôt de consommation au contraire n’atteint qu’indirectement le consommateur. Il semble, quand on l’acquitte, qu’on le paie volontairement et que l’on

  1. « L’impôt indirect, en ajoutant successivement un surcroît de prix aux articles de consommation générale et journalière, au moment où tous les membres de la société ont contracté l’habitude de ces consommations, rend ces divers articles un peu plus coûteux à acquérir, c’est-à-dire qu’il donne lieu à ce qu’il faille, pour se les procurer, un surcroît proportionné de travail et d’industrie. Or, si cet impôt est mesuré de manière à ne pas aller jusqu’à décourager la consommation, ne semblerait-il pas, dans ce cas, agir comme un stimulant universel sur la partie active et industrieuse de la société, qui l’excite à un redoublement d’effort pour n’être pas obligé de renoncer à des jouissances que l’habitude lui a rendues presque nécessaires, et qui, en conséquence, donne un plus grand développement aux facultés productives du travail et aux ressources de l’industrie. » (Garnier, préface de la traduction d’Adam Smith.)