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mollettes traînant sur le pavé ; ce costume, qui, bien que toujours le même, se varie à l’infini, quant aux couleurs, selon le goût et le canton de celui qui le porte, a quelque chose de chevaleresque qui me fait penser toujours aux Mores et à l’Orient. Le petit chapeau à forme plate, avec ses bords retournés, est un turban de feutre ; la veste ronde étriquée, surchargée de broderies, rappelle le goût des Turcs et des pallicares ; la large ceinture vient d’Asie : c’est un accoutrement conseillé dans les pays chauds par l’hygiène, plus encore que par l’élégance. La manta de Valence, aux vives couleurs, dans laquelle se drape L’Espagnol, dérive évidemment du burnous. Les éperons à larges mollettes sont du moyen-âge, et les guêtres brodées semblent une imitation légère des grèves de fer damasquiné des chevaliers. Les Mores vaincus ont laissé beaucoup de leurs habitudes à leurs vainqueurs. Le paysan andalou porte, à son insu, dans son costume la trace de l’histoire de ses ancêtres et les vestiges de la domination orientale. Il en est toujours ainsi, et il est curieux d’observer dans l’histoire des costumes combien, au moindre contact, l’Orient déteint sur les habits européens. Au XVe siècle, pour ne pas remonter plus haut, les chevaliers français, Jean-sans-Peur tout le premier, revinrent du Levant costumés comme Bajazet ; nous pouvons dire que les Espagnols ont conservé, en le modifiant, l’habit des Mores, et ne voyons-nous pas aujourd’hui encore nos régimens adopter en Afrique le costume indigène et nos officiers de spahis ou de zouaves nous revenir métamorphosés en musulmans ? L’Orient se presse moins, en général, d’imiter l’Europe ; il ne s’enthousiasme pas pour nos habits noirs à queue de morue, nos chapeaux en tuyau de poêle et nos pantalons à sous-pieds. C’est depuis un petit nombre d’années seulement que les officiers turcs ont imaginé de s’affubler d’une redingote à brandebourgs, d’un fez rouge en forme de chapeau, et de composer ainsi un costume qui donne de loin à leurs fonctionnaires l’aspect d’une grosse bouteille cachetée de rouge.

Comme en Orient, il n’y avait dans cette foule espagnole qu’un très petit nombre de femmes. Les hommes, basanés, presque mulâtres, avaient une tournure très agile, très svelte, et des figures tellement dures, la plupart tellement énergiques, qu’on eût pu les prendre pour d’élégans bandits. Cette supposition était d’autant plus naturelle, que nous entrions dans la terre classique des brigands. J’avais lu dans le Heraldo, le jour même de mon départ de Madrid, que la diligence de Séville venait d’être arrêtée et dévalisée à une lieue d’Andujar, où nous devions souper. On m’apprit, à la Carolina, que l’avant-veille les mêmes brigands avaient fait une tentative nouvelle qui avait été déjouée heureusement par les gardes civiques. Le mayoral (conducteur), pour parer à tout événement, fréta une escorte de deux hommes armés de