Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/776

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une petite ville de province que nulle nouvelle ne défraie où l’on reçoit pas de journaux, où l’on entend à peine les bruits du dehors où l’on ne sait que dire probablement : les habitans qui n’avaient pas assisté à la course n’en avaient aucun souci et ne s’en informaient pas. Ah ! Dieu ! si pareil accident arrivait dans une de nos sous-préfectures, on en causerait chaque soir durant vingt années consécutives, et si, Paris même, un novillo joue un tel tour à l’hippodrome, adieu les taureaux, toute la France paisible poussera les hauts cris, et la police interviendra.

La posada d’Andujar est supérieure à celle de la Carolina. La cour était remplie de fleurs ; il n’existe pas dans tout le midi de la France une auberge aussi propre ; la duègne se plaignit d’avoir trouvé une punaise, mais le moyen de chasser ces insectes par une température de 35 degrés ? Le mayoral avait des préoccupations plus sérieuses. Nous n’étions pas encore à l’abri des brigands, et il me confia qu’il venait de recevoir de fort mauvais renseignemens. Il renforça son escorte d’un nouvel escopetero, ce qui était d’autant plus judicieux, que nos deux premiers sacripans, pour se donner du cœur, s’étaient abominablement grisés. C’était à peine s’ils pouvaient se maintenir sur la bâche. Ces deux hommes et un troisième drôle que j’avais rencontré une nuit dans la calle del Carmen, à Madrid, sont les seuls ivrognes que j’aie vus pendant un séjour de quatre mois en Espagne. L’Espagnol est sobre comme l’Arabe, l’ivrognerie appartient presque exclusivement aux pays du Nord.

Nous partîmes à minuit, décidés en apparence à faire fière mine aux bandits. La route sombre traversait de grands bois d’oliviers ; la nuit était silencieuse ; on n’entendait que les grelots de nos mules, qui brûlaient l’espace. Assis devant moi, le mayoral, son fusil à la main, causait à voix basse avec son nouvel escopetero. J’avais ouvert toutes les glaces du coupé, et, tout en fumant mon cigare, j’écoutais leur conversation.

— C’est à deux lieues d’ici et vers minuit qu’ils nous arrêtèrent jeudi dernier, disait l’escopetero. Ils étaient sept. Du premier coup de fusil, ils tuèrent une mule. Il fallut bien que la diligence s’arrêtât. Ils tirèrent cinq ou six coups encore, et les balles commencèrent de siffler par les portières. Bientôt les bandits nous entourèrent. Un Anglais qui était dans l’intérieur voulut se défendre ; je l’en empêchai. À nous deux, qu’aurions-nous pu faire ? Nous aurions irrité ces gens. Ils firent descendre tout le monde et tous les paquets ; puis, s’asseyant par terre, ils firent ouvrir les malles comme de vrais douaniers. Ils choisirent ce qui pouvait leur être utile, argent, bijoux, linge, et laissèrent les habits aux voyageurs. Le triage fait, ils remplirent deux malles de leur butin, et les chargèrent sur deux mules qu’ils dételèrent. Ensuite,